Préserver la faune des effets des prospections par airgun ?

Les USA et le Royaume-Uni furent des précurseurs en matière d’exploitation d’hydrocarbures en mer et les protocoles de mitigation ont été introduits dès 1995 outre-Manche ; ils ont été l’objet d’une édition formelle en 2004, sous l’égide du Joint Nature Conservation Committee. Les recommandations du JNCC ont été mises à jour régulièrement depuis, la dernière édition datant de 2017.

Quels dangers menacent les cétacés lors de prospections sismiques ?

– le niveau de pression à la source d’un système d’airgun pouvant atteindre ou dépasser 260 dB pic-pic (ref à 1μPa@1m), un risque mortel existe pour des cétacés se trouvant à faible distance de la source (quelques dizaines de mètres). S’ils sont présents dans le lobe principal de l’onde de pression, une lésion traumatique létale affecte les tissus, notamment aériens, des animaux soumis à une telle intensité,

– pour des cétacés ayant une bonne sensibilité auditive à basse fréquence, l’intensité sonore à faible distance entraîne une surdité temporaire (TTS) ou définitive (PTS, risque physiologique de classe A), selon le nombre d’impulsions impactant l’animal,

– pour la plupart des espèces sensibles aux basses et moyennes fréquences, les détonations sismiques provoquent des perturbations de comportement ou des évasions d’habitat jusqu’à plusieurs kilomètres, avec une diminution de plus de 50% de leur présence dans les zones de tirs.

Un protocole standard de mitigation

Les règles de mitigation de référence, celles du JNCC, incluent certes une planification temporelle des tirs générant une nuisance minimale vis-à-vis des mammifères marins, mais comme leur titre l’indique (JNCC guidelines for minimising the risk of injury to marine mammals from geophysical surveys) elles visent surtout à minimiser le risque de blessure. Elles reposent sur l’action de veille d’observateurs visuels et d’opérateurs acoustiques indépendants de l’équipage technique du bateau.

Ces règles insistent sur une veille efficace permettant de ‘blanchir’ une zone de 500 m de rayon autour de la source sismique, c’est-à-dire de s’assurer qu’aucun cétacé n’est présent dans cette zone de risque élevé, ou encore ‘zone d’insécurité’.

Cette veille vaut aussi, et surtout, avant le démarrage des tirs, phase durant laquelle une veille visuelle et acoustique est requise. En effet, lorsqu’une séquence de tirs a débuté, la sécurité des cétacés repose sur leur propre faculté à évacuer la zone dangereuse au fur et à mesure de la progression (assez lente) du bateau-source.

La veille préalable à un début des tirs dure 60 minutes pour les eaux de profondeur supérieure à 200 m. Si des cétacés sont détectés pendant cette veille préalable, un intervalle de 20 minutes après leur dernière observation à moins de 500 m de distance doit précéder la phase de mise en route du système.

À l’issue de cette veille, la séquence de tirs démarre par une montée en puissance progressive régulière d’une durée de 20 minutes (‘soft-start’). Cette phase permet, en principe, aux cétacés de s’éloigner de la source au fur et à mesure que l’intensité sonore augmente.

Et pendant la prospection elle-même ?

Lorsqu’une prospection sismique a commencé sa phase à pleine puissance, le protocole JNCC ne requiert pas la continuation du protocole de surveillance, mis à part lors des changements de lignes. Mais les observateurs peuvent bien sûr poursuivre leur office pour documenter les opérations.

De même, il est à noter que les règles du JNCC n’imposent pas la suspension des tirs si des mammifères marins sont détectés à l’intérieur de la zone d’insécurité pendant les tirs, que cela soit en phase de démarrage ou à pleine puissance.

L’efficacité de cette méthode repose donc bien sur les propres facultés d’évitement des mammifères marins

Un protocole standard critiqué …

Des critiques sont émises à l’encontre de ce ‘standard JNCC’, comme par exemple sur la nature arbitraire de la distance de sécurité de 500 m, ou encore sur l’hypothèse optimiste que les cétacés vont réagir aux tirs sismiques en s’éloignant de la source. Les tirs sismiques n’étant pas interrompus par mauvaise météo ou la nuit, la zone des 500 m ne peut pas toujours être surveillée.

Certains critiquent aussi la technique du ‘soft-start’, arguant que cette méthode peut provoquer l’immobilisation de cétacés. Mais la critique la plus justifiée vise l’absence d’obligation de cesser les tirs lorsque des cétacés se trouvent dans la zone d’insécurité durant la progression du navire: des cétacés coincés dans cette zone pour des raisons x ou y sont condamnés à subir des pics de pression dangereux.

Le protocole standard JNCC constitue donc un socle minimal, et non pas un but à atteindre.

Parce qu’elle est critiquable, la mitigation du risque sismique grâce à l’observation in situ par un personnel dédié ne se substitue pas à une étude de risques proprement dite : cette étude préalable doit chiffrer les impacts potentiels sur la faune de cétacés présente au moment de la prospection.

Ces impacts potentiels incluent non seulement les blessures ou les atteintes auditives évoquées plus haut, mais aussi la perte de ressources vitales résultant du dérangement et de l’évacuation des zones favorables à l’alimentation, ou la perturbation de phases critiques du cycle biologique comme l’allaitement des nourrissons.

Le chiffrage de ces impacts s’impose a fortiori lorsque les prospections sismiques se déroulent dans une aire marine protégée dédiée aux cétacés.

Alexandre et cetaces.org