Une prospection cétologique en Méditerranée, au jour le jour

Ça y est, après 3 ans d’attente pour cause d’études, je peux enfin rejoindre le GREC dans une campagne de prospection en mer : 12 jours à affronter les vaguelettes scélérates et un soleil sans pitié pour les bienfaits de la science cétologique. Me voilà, le 1er juillet à Antibes rejoignant Alexandre et Charlotte (Cha), une Normande qui partage avec moi une précédente expérience avec le GREC aux Açores. Alors que Cha rêve de cachalot, pour ma part j’espère la rencontre d’un dauphin de Risso.

L’auteur, en pleine action

02/07/2019

Départ dès potron-minet, direction la Corse. Mer d’huile, la journée se passe au rythme des changements des postes d’observation. Bâbord, tribord, secrétariat, bâbord, tribord, etc….

La recherche d’ombre est pour moi permanente, derrière le mât, derrière la voile, sous mon chapeau. Enfin, j’opte pour la méthode touareg afin d’échapper au soleil, chapeau, lunettes, pantalon et chemise à manches longues (prochaine prospection je prévois une djellaba). A contrario, Cha en bonne fille du Nord se promène en débardeur et crème solaire.

Première rencontre, un Stenella solitaire (Dauphin bleu et blanc), je suis bien sûr en poste au secrétariat, à me battre avec l’ordinateur et la fiche à remplir. Pas possible de prendre mon appareil photo, ni même de voir la bête. La suivante est mieux, les dauphins viennent à l’étrave, donc forcément trop près pour mon objectif 200/400mm, je ne vais quand même pas être obligé de leur jeter des cailloux pour qu’ils reculent.

Stenella à l’étrave, peu fréquent cette année

La troisième rencontre se passe pour une fois du bon côté du bateau (celui où je suis, forcément). Des Stenella croisent notre route avec la possibilité de la présence auprès d’eux de juvéniles et de nourrissons. Nous les suivons afin d’en savoir plus. Je les perds de vue et les retrouve dix fois dans les reflets de la mer.

Ah, ça y est, celui-là à bâbord je ne peux pas le rater, il nage lentement en surface à la différence des autres. Je m’aperçois rapidement de mon erreur (1/500e de seconde à la louche) la grosse bête à 600 mètres n’est pas un dauphin mais un Rorqual commun qui nous ignore superbement, affairé à quelques occupations personnelles. Je réussis à lui tirer le portrait malgré la sueur qui me coule dans les yeux et me pourrit les lunettes.

Un portrait et de la sueur (photo prise au téléobjectif)

La journée se poursuit, Stenella, Stenella, Rorqual, Stenella, Diable de mer (Mobula mobula), poisson lune, guifette et Stenella.

Le soir tombe, la houle se calme, la mer ressemble à un lac. L’hydrophone détecte le clic d’un cachalot, nous avons encore du boulot sur la planche. S’il clique, c’est qu’il est au fond de l’eau et pourtant voilà que son souffle se profile à l’horizon. Il y en a forcément deux. Approchons-nous, ils ne sont pas deux, mais six, non huit, dix maintenant à la surface. Apparemment, un groupe d’adolescents se reposant avant d’entamer une longue nuit de ripaille et d’excès propre à la jeunesse. Ils s’approchent de nous en sortant leur tête et nous radiographiant de leurs puissants sonars, leur « clock » étant audible à l’oreille. Le bateau est à l’arrêt, les cachalots restent encore une heure à proximité avant de s’éloigner vers le nord à la tombée de la nuit. Le souper est servi et nous nous organisons pour passer la nuit en mer à la voile. Pour ma part, ce sera le quart de 01h à 04h00. Cha me réveille à l’heure prévue. Pas de lune, pas de lumière venant de la terre, pas de moteur: Anacoana se déplace à 2 nœuds sur un lac et sous la Voie lactée. De temps en temps des ploufs et des splashs me tirent de ma torpeur, c’est fou le nombre d’animaux qui sautent la nuit dans l’eau. A la fin de mon quart, le suspect est assez près du bateau pour que je puisse identifier un dauphin. Remplissons une fiche, puis allons réveiller Alexandre pour la fin de la nuit.

03/07/2019

Même topo que la veille, bâbord, tribord, secrétariat, bâbord, tribord, etc… de même pour les observations avec chronologiquement rien, rien, rien, Stenella, rien et rien. La Corse pendant ce temps grossit dans notre champ de vision, et soudain les voilà, des dizaines de dauphins surgissent entre nous et la côte. Je m’empare des jumelles et commente à mes coéquipiers ce que je vois, des sauts, des caudales, des ailerons, la mer bouillonne littéralement, Cha pendant ce temps note scrupuleusement mes observations. Pourtant, au fur et à mesure que l’on s’approche, ces dauphins ressemblent de plus en plus à des thons, cela m’apprendra à brailler n’importe quoi en prenant mes désirs pour des réalités. Centuri, notre escale en Corse s’approche, encore une heure et une baignade bien méritée nous attend. Je fais une dernière écoute avant de devoir remonter à bord l’hydrophone, et des clics de cachalot résonnent à mes oreilles. La baignade est reportée à plus tard, place à la traque acoustique de la bête dans une chaleur accablante, avec à la clef la photo ID de sa caudale une heure plus tard.

En vue de la Corse, un cachalot adulte continue son repas (photo prise au téléobjectif)

04/07/2019

Après une nuit de repos, retour vers  le continent, déjà. Une heure ne s’est pas écoulée, que des clics de cachalot résonnent dans les écouteurs. Sa sonde est minutieusement chronométrée, les appareils photos sont affûtés, les fiches d’observations aiguisées. Nous sommes prêts à immortaliser la séquence de respiration en surface du monstre marin. Les clics s’arrêtent, il remonte, dans 6 à 8 minutes nous le verrons faire surface, si nous avons réussi à nous positionner correctement. Le voilà par tribord arrière à 500m, il nous reste une dizaine de minutes pour nous positionner sur son arrière afin de photographier sa caudale lors de sa sonde, seul moment où celle-ci émerge de l’eau. Si on la rate, la prochaine pause sera dans une heure. Cette fois, pas de problème; les clichés terminés nous reprenons la route vers Antibes. Et itou, même topo que la veille, bâbord, tribord, secrétariat, bâbord, tribord, etc…. et les observations suivantes rien, rien, rien, et rerien. Je suis à tribord, lorsque Alexandre dit à voix basse, « tiens il y a une baleine là-bas à 1000 mètres au moins ». Combien de baleines faut-il avoir rencontré, pour ne pas avoir l’envie de hurler à la vue d’un souffle ? Pour ma part, je n’en suis pas encore là.

Pas facile de remplir une fiche d’observation quand il y a des baleines plein partout !

Un peu plus tard, Charlotte aperçoit loin devant un souffle puissant, loin devant le bateau. Alors que nous nous dirigeons vers elle, je vois sur bâbord un souffle beaucoup plus près, accompagné à une dizaine de mètres d’un léger clapot. Une ou deux baleines sont à proximité, indétectables par nos hydrophones. Leurs présences se confirment, lorsque émerge à 200 mètres le dos d’un rorqual un peu petit, bientôt suivi par celui plus grand de sa mère. Un autre souffle apparaît plus loin, puis un dos, puis encore trois souffles simultanés. Nous sommes en plein milieu d’un « champ de baleines ». Une dizaine de baleines au minimum se répartissent sur tout l’horizon, la tenue à jour de la fiche d’observation vire au cauchemar, les contacts visuels se multiplient, pour couronner le tout, une bande de dauphins vient jouer les trouble-fêtes, une seconde fiche doit être renseignée sans oublier la tablette nouvellement mise en œuvre par l’association. Cette rencontre se poursuit jusqu’à la nuit. Nuit beaucoup moins calme que les précédentes. Houle, absence de vent donc mise en route de «Dédé Perkins », et moult rencontres avec des pêcheurs aux feux de balisage pour le moins énigmatiques.

05/07/2019

La météo nous contraint de suspendre momentanément la prospection. Cette journée est mise à profit pour rallier le port d’Antibes. Et la même routine s’installe, bâbord, tribord, secrétariat, bâbord, tribord, etc…. . Et si un jour on changeait de sens, rien que pour voir ? Je soumettrai la question à la prochaine AG de l’assoc. Et c’est reparti, rien, rien, rien, Stenella, rien et rien. L’approche des côtes nous laisse espérer la rencontre avec des grands Dauphins, mais nous l’aurons dans le baba pour cette fois.

‘Documentation’ d’un navire : photo et bruit !

Les cinq jours suivants étant ‘off’ pour cause de météo, j’abandonnais lâchement Charlotte à sa découverte de la Côte d’Azur et rentrais chez moi momentanément, en bon père de famille.

11/07/2019

Je suis de retour à Antibes pour mes deux derniers jours de prospection. Bâbord, tribord, ……. (vous connaissez la suite). Et en observation rien, rien, rien, Stenella, rien et rien. En milieu d’après-midi, un cachalot vient égayer notre journée, sa  traque nous permettra de constater une marque blanche sur son dos, faisant dire à Alexandre qu’il est déjà connu de nos services.

La caudale du cachalot du 11 juillet ira rejoindre le catalogue ; on note que l’individu a puissamment déféqué avant de sonder (photo prise au téléobjectif)

12/07/2019

Visiblement nous avons mangé le dessert avant le reste du repas. Cette journée ne nous apportera que la rencontre d’un groupe de Stenella harcelés par un opérateur de « nage-avec », les pauvres. Que l’on puisse dépenser 250 euros pour flotter 5 secondes au milieu de dauphins en fuite reste pour moi mystérieux. Le fonctionnement de l’activité est simple: on repère les dauphins, gaz à fond on leur coupe la route et on immerge ses clients, les dauphins fuient et on recommence. (Notez que généralement ‘on’ est un c..). De plus ma dernière journée fut marquée par une houle résiduelle qui me donna une envie gerbative, mais que je pus réfréner grâce à une sieste impromptue lors de la pause méridienne.

Nous traversons la zone exploitée par les ‘nage-avec’ …

Une dernière journée ‘revers de la médaille », en quelque sorte…

Gilles et cetaces.org