Un peuplement abondant et assez diversifié

Le peuplement de cétacés du golfe de Gascogne comprend sept espèces régulières de delphinidés et de marsouins. On rencontre aussi régulièrement quatre espèces de ziphiidés, le cachalot commun, un ou deux kogiidés et au moins deux balénoptères. Nous englobons sous le terme ‘dauphins’ les six espèces de la famille des delphinidés : le Dauphin commun, le Dauphin bleu et blanc, le Grand dauphin, le Dauphin de Risso, le Globicéphale noir, et l’Orque. Le Marsouin commun est seul de son genre (Phocoena). Les ziphiidés, vulgairement appelés ‘baleines à bec’, sont représentés par trois genres : Ziphius, Mesoplodon (deux espèces présentes) et Hyperoodon. Pour le genre Kogia, il semble que l’espèce ‘cachalot pygmée’ (K. breviceps) soit la plus régulière, bien que le cachalot nain (K. sima) soit parfois noté en échouage. Pour le genre Balaenoptera, ce sont principalement les espèces ‘Rorqual commun’ (B. physalus) et ‘Rorqual à museau pointu’ (B. acutorostrata) qui sont observés.

Les cétacés fréquentent l’ensemble du golfe, mais la plupart ont une préférence en terme d’habitat (plateau, talus, domaine océanique); certaines sont plus abondantes au nord qu’au sud, et vice versa.

Particularités du golfe de Gascogne

Le golfe de Gascogne est une aire très vaste (plus de 300 000 km2) qui n’est pas homogène en terme d’habitats de cétacés. Les habitats de cétacés sont souvent décrits à partir de leurs caractéristiques topographiques et hydrologiques (température et biomasse planctonique de l’eau, salinité, …). Dans le golfe de Gascogne, les différents habitats ont des caractères topographiques bien tranchés, avec un plateau continental très étendu (sauf au sud), un talus continental assez abrupt, indenté de petits canyons sous-marins, et un domaine océanique, de plus de  3000 m de profondeur (zone abyssale).

Figure 1 : Situation et topographie du golfe de Gascogne

On remarque toutefois dans le sud-est du golfe, une vaste zone de profondeur intermédiaire, entre 500 et 3000 m, qui compose un habitat particulier.

Au niveau de la température superficielle de l’eau et de la biomasse phytoplanctonique, les contrastes sont surtout saisonniers, même si des différences existent entre le sud, à tendance oligotrophe en été, et le nord du golfe (Fig.2). Les températures rencontrées en plein été varient de 18°C (nord-ouest) à 22,5°C (sud-est), alors qu’en plein hiver, elles sont de 11°C (NW) à 12,5°C (SE).

Figure 2 : Evolution de la biomasse phytoplanctonique selon la saison (unité : mg.Chla/m3). (source: traitement de données mensuelles AquaModis sur 6 années consécutives)

Le marsouin et les dauphins

Le Marsouin commun est classiquement un cétacé d’eaux peu profondes, ce qui se retrouve dans le cas du golfe de Gascogne, où il fréquente le plateau et le talus supérieur.

Un jeune marsouin s’approche du voilier

Mais la distribution du Marsouin montre un fort contraste entre l’hiver, où il est très côtier, et l’été, où il se trouve surtout dans les eaux plus profondes du plateau et du talus (Fig.3).

Figure 3 : Observations de Marsouins lors des prospections SAMM (source: Pettex et al. 2014)

Le Dauphin commun se rencontre aussi bien dans le domaine océanique que sur le plateau du golfe de Gascogne, en hiver comme en été (Fig.4).

Dauphins communs, un juvénile et sa mère

Les données d’identification sont incertaines vis-à-vis du Dauphin bleu et blanc, qui vu d’avion ressemble au Dauphin commun, néanmoins, les prospections SAMM indiquent que le Dauphin commun change partiellement sa distribution entre l’été, où il est très présent dans le domaine océanique, et l’hiver, où il investit largement le domaine du plateau.

Figure 4 : Observations de Dauphins communs lors des prospections SAMM (bleu, hiver – orange, été).

Le Dauphin bleu et blanc est habituellement une espèce très présente dans les eaux profondes, et également une espèce qui préfère les eaux un peu plus chaudes, en Atlantique (Fig.5).

Dauphin bleu et blanc et bébé
Dauphin bleu et blanc et nourrisson

Les prospections SAMM n’ont pas livré de nombreuses données fiables sur cette espèce, mais les prospections CODA confirment la présence importante du Dauphin bleu et blanc du talus au domaine océanique (à gauche ci-dessous), dans une proportion comparable à celle du Dauphin commun (à droite). En complément, notons que les prospections de SCANS-2, sur le plateau, n’ont livré aucune donnée d’observation de Dauphin bleu et blanc.

Figure 5 : Observations de Dauphins bleus et blancs (à gauche) et communs (à droite) lors des prospections CODA (source: rapport final CODA)

Le Grand dauphin a la particularité de former des groupes résidents en certains secteurs côtiers, et d’être également présent du talus au domaine océanique (Fig.6).

Grands dauphins aux Açores

L’espèce est très opportuniste, et on ne peut donc avoir de vision tranchée sur ses préférences en terme d’habitat. On constate avec les prospections SAMM cette dualité d’habitat, avec une tendance un peu plus ‘plateau’ en hiver qu’en été.

Figure 6 : Observations de Grands dauphins lors des prospections SAMM (source: Pettex et al. 2014)

Le Dauphin de Risso est relativement moins fréquent que les espèces précédentes, mais les données de prospections SAMM indiquent qu’il est présent été comme hiver dans le golfe de Gascogne.

Dauphin de Risso groupe
Dauphin de Risso en groupe serré

On remarque proportionnellement une présence significative au voisinage du talus (Fig.7).

Figure 7 : Observations de Dauphins de Risso lors des prospections SAMM (bleu, hiver – orange, été)

Le Globicéphale noir a une abondance beaucoup plus importante que le Grampus dans le golfe de Gascogne, avec une tendance océanique même si des incursions sur le plateau et même en zone côtière sont régulières.

Globicephale-noir_8681
Globicephale noir, ici vers Gibraltar

Les prospections SAMM suggèrent une tendance de l’espèce à se regrouper vers le talus en été (Fig.8).

Figure 8 : Observations de Globicéphales noirs lors des prospections SAMM (bleu, hiver – orange, été)

Notons que la présence estivale du Globicéphale noir dans le golfe n’est pas constante, puisqu’il n’avait pas été observé pendant la prospection CODA de 2007.

Le cas de l’Orque épaulard est plus clair: dans le golfe de Gascogne, l’espèce est observée de plus en plus fréquemment en été (5 observations signalées dans l’étude de Kiszka et al. de 2007).

Orques approchant du voilier en plein Atlantique

Vu plus souvent dans le domaine profond ou sur le talus, l’Orque est cependant parfois signalé près des côtes, bretonnes en particulier. Il peut s’agir soit d’un écotype opportuniste se nourrissant potentiellement de mammifères marins, soit de groupes en provenance de la population de Gibrlatar.

Abondance des marsouins et dauphins

Si estimer l’abondance des cétacés demeure un problème techniquement ardu dans presque tous les cas de figure, il est pratiquement impossible donner des valeurs de populations pour les marsouins et dauphins du golfe de Gascogne. Pourquoi ? Le golfe de Gascogne est un secteur extrêmement ouvert, la majorité des petits cétacés vont et viennent au gré des saisons et en fonction de déplacements occasionnels aux motivations parfois inconnues. ‘La population du golfe de Gascogne’ est donc une entité indéterminée.

Dénombrer un simple groupe de Delphinus peut déjà être difficile

Au-delà de ces réserves, il est important de chiffrer les populations de marsouins et de dauphins qui fréquentent le golfe de Gascogne, en été et, si possible, en hiver. Ces populations sont en effet victimes de menaces anthropiques graves et variées, surtout la pêche. Pour ces chiffrages, les meilleures sources utilisables sont les publications issues des prospections à grande échelle réalisées au cours de la décennie écoulée (Tab.1).

La prospection européenne SCANS-3 et la prospection SAMM constituent des références pour les marsouins et les delphinidés, avec les particularités inhérentes à ces prospections:
– le ‘zonage’ en blocs de SCANS-3 ne recoupe pas le golfe de Gascogne stricto sensu,
– la prospection SCANS-3 repose sur des échantillonnages aériens (plateau) et en bateau (large) au cours desquels la différentiation des espèces de petits delphinidés est parfois problématique,
– les prospections SAMM reposent sur des échantillonnages aériens au cours desquels la différentiation des espèces de petits delphinidés est problématique, les deux espèces concernées ont été regroupées dans les estimations d’abondance publiées.

Tableau 1 : Chiffrage des populations fréquentant le golfe de Gascogne

Espècedensité hiver SAMMdensité été SAMMdensité été SCANS-3intervalle de confiance arrondi (été, SCANS-3)
Marsouin commun0,010,0470,012[100 , 8000]
Dauphin communndnd0,87[130 000 , 830 000]
Dauphin bleu et blancndnd0,77[69 000 , 680 000]
Grand dauphin0,0620,0360,05[4600 , 38 000]
Dauphin de Risso0,0030,0080,01[550 , 14 000]
Globicéphale noir0,0140,0140,03[2500 , 32 000]
petits dauphins nd1,011,750.28[70 000 , 680 000]

On remarque que les intervalles de confiance à 95%, c’est-à-dire la fourchette de valeurs à l’intérieur de laquelle la population réelle se trouve avec 95% de certitude, sont très étendus.

La population de petits delphinidés présente dans le golfe de Gascogne en été s’élève certainement à plus de 200 000 dauphins, en majorité des Dauphins communs, mais avec davantage de Dauphins bleus et blancs dans la zone océanique du golfe (selon SCANS-3). Pour les Marsouins, l’estimation de la population présente en été est très peu précise, avec des différences importantes entre les prospections SAMM et SCANS-3. Ceci souligne la ‘volatilité’ de la présence des populations selon les années, avec sans doute aussi des fragilités méthodologiques qui nuisent à la fiabilité des estimations produites.

Menaces

Les populations de marsouins et delphinidés du golfe de Gascogne sont soumises à l’ensemble des pressions anthropiques, parmi lesquelles on citera la perturbation des habitats (effets sonores des travaux sous-marins, des exercices militaires, des prospections sismiques, …), et la concurrence pour les ressources alimentaires (pêche). L’effet le plus évident des pêcheries est la mortalité dans les engins de pêche, particulièrement pour le Marsouin et le Dauphin commun.

Bien que cette mortalité soit mal évaluée, malgré le règlement européen qui oblige à un contrôle effectif des pêcheries, les estimations récentes suggèrent que plusieurs centaines de marsouins et plusieurs milliers de dauphins sont victimes des pêcheurs chaque année.

Un bébé dauphin commun échoué en 2017 en Bretagne

L’effort d’évaluation et l’objectif de réduction de ces mortalités ont été affirmés à la suite de l’écho médiatique des échouages en 2017 et 2018. Affaire à suivre, donc …

L’importante mortalité due aux pêcheries est le phénomène le plus inquiétant sur cette façade atlantique. Jusqu’à aujourd’hui, elle a été insuffisamment contrôlée. Pour le traitement de ce problème grave, deux options sont offertes :

  • la première, technocratique, viserait à déterminer par une comptabilité macabre le nombre de milliers de dauphins qui peuvent être tués dans les engins, en fonction d’un pourcentage qui serait (bien sûr) calculé scientifiquement (les bureaucrates appellent cela de la ‘gestion’),
  • la seconde, éthique, viserait explicitement un objectif de ‘zéro’ dauphins et marsouins tués dans les engins de pêche tout en donnant aux acteurs les moyens d’atteindre cet objectif, en quelques années. Il s’agit alors de protéger une faune sauvage sur laquelle l’Homme n’a aucun droit.

Le Groupe de Recherche sur les Cétacés ne saurait s’associer à la première option, conformément à son approche de préservation réelle des animaux protégés par la loi.

Les ziphiidés

Le golfe de Gascogne abrite des populations conséquentes d’eau moins deux espèces de ziphiidés, le Ziphius de Cuvier et le Mésoplodon de Sowerby (M. bidens), deux autres espèces étant également observées régulièrement : l’Hyperoodon boréal (H. ampulatus) et le Mésoplodon de Blainville (M. densirostris). Les ziphiidés en général sont des espèces d’eau profonde, cependant le Mésoplodon de Sowerby est également présent sur les eaux néritiques, en mer du Nord. D’autres mésoplodons sont vues occasionnellement.

Un Ziphius vu dans le gouf de Capbreton (vieille femelle)

Le talus et les canyons sont les habitats de choix pour le ziphius et les mésoplodons, le gouf de Capbreton étant un site où ces animaux peuvent être assez facilement observés. L’observation des ziphiidés en bateau demande des conditions environnementales exigeantes, les cétacés étant souvent assez discrets avec un souffle peu visible. De plus, ces espèces ont l’habitude de sonder pendant plus d’une heure.

Mésoplodon de Sowerby observé dans la zone des canyons.

Nos observations comptent plus de ziphius que de mésoplodons, mais ces derniers sont encore moins visibles que les ziphius donc il se pourrait que les mésoplodons de 2 ou 3 espèces soient également communs. Le Mésoplodon de Sowerby semble être l’espèce la plus fréquente, bien que le Mésoplodon de Blainville soit observé également. Les espèces M. europeus et M. mirus sont présentes dans le golfe de Gascogne.

Un groupe de Mésoplodons de Blainville

Les ziphiidés en général sont extrêmement sensibles aux fortes intensités sonores ; des échouages passés dans le golfe de Gascogne ont peut-être été provoqués par des sonars militaires.

Les balénoptères

Deux balénoptères sont fréquents dans le golfe : le Rorqual commun, plutôt en eaux profondes, et le Rorqual à museau pointu, ou ‘Petit rorqual’, observé souvent sur le plateau. Le premier est présent en abondance (plusieurs milliers d’individus) dans une zone située au nord-ouest de l’Espagne où sa nourriture préférée est le krill nordique, Meganyctiphanes norvegica.

Rorqual commun en train de sonder

Le Petit rorqual est plus fréquent en hiver, dans le golfe de Gascogne. On peut l’observer sur le plateau parfois près des côtes où il semble se nourrir de poissons.

Un Petit rorqual vu en train de chasser

D’autres balénoptères peuvent être observés dans le golfe de Gascogne, comme le Rorqual bleu ou le Rorqual boréal, mais ils ne sont pas fréquents.

Alexandre et cetaces.org

Références

Hammond PS, C Lacey, A Gilles, S Viquerat, P Börjesson, H Herr, K Macleod, V Ridoux, MB Santos, M Scheidat, J Teilmann, J Vingada, N Øien, 2017. Estimates of cetacean abundance in European Atlantic waters in summer 2016 from the SCANS-III aerial and shipboard surveys. Rapport, 39pp.

Hammond PS, K Macleod, D Gillespie, R Swift, A Winship, ML Burt, A Cañadas, JA Vázquez, V Ridoux, G Certain, O Van Canneyt, S Lens, B Santos, E Rogan, A Uriarte, C Hernandez, R Castro, 2009. Cetacean Offshore Distribution and Abundance in the European Atlantic (CODA). Rapport, 48pp.

Kiszka J, K Macleod, O Van Canneyt, D Walker & V Ridoux, 2007. Distribution, encounter rates, and habitat characteristics of toothed cetaceans in the Bay of Biscay and adjacent waters from platform-of-opportunity Data. ICES J. Mar. Sci. J. Cons. 64, 1033–1043.

Laran S, M Authier, A Blanck, G Dorémus, H Falchetto, P Monestiez, E Pettex, E Stephan, O Van Canneyt, V Ridoux, 2017. Seasonal distribution and abundance of cetaceans within French waters- Part II: The Bay of Biscay and the English Channel. Deep-Sea Research Part II 141, 31-40.

Pettex E, C Lambert, S Laran, A Ricart, A Virgili, H Falchetto, M Authier, P Monestiez, O Van Canneyt, G Doremus, A Blanck, V Toison & V Ridoux, 2014. Suivi aérien de la mégafaune marine en France metropolitaine. Rapport final, 169pp.