L’avis spécial du CIEM du 26 mai 2020 indique la voie à suivre

Saisi par la DG Mare de l’Union Européenne après une plainte de 26 ONG (dont FNE et le GREC), le Conseil International d’Exploration de la Mer a rendu un avis qui fait autorité. Ni environnementaliste ni pro-pêche, le CIEM (plus connu sour le nom anglais de ICES) réunit des experts parmi les meilleurs. Son avis traitait à la fois des marsouins de la Baltique et des dauphins de l’Atlantique Nord-Est.

Avis CIEM du 26 mai : il fera date

A partir des connaissances existantes, et sur la base de méthodes scientifiques robustes, l’avis du CIEM indique clairement que la baisse rapide du nombre de captures passe impérativement par une fermeture des pêcheries incriminées d’au moins deux mois en hiver, dans tout le golfe de Gascogne. De plus, le contrôle des captures de dauphins, basé sur un principe purement déclaratif de la part des pêcheurs, ne correspond pas à la nécessité car à l’évidence, il ne recoupe pas le nombre réel de prises estimées d’après les dauphins échoués, et de très très loin. Une forte intensification des observations indépendantes en mer est indispensable, avec si besoin un contrôle des captures par caméra embarquée (technologie pratiquée dans plusieurs pays).

Contributeur essentiel à la gravité du problème : une méconnaissance incroyable du nombre de captures, par le gouvernement français

Le gouvernement français (et également le gouvernement espagnol) est ainsi replacé devant ses responsabilités : le niveau critique de mortalité des dauphins appelle des mesures drastiques immédiates (dès la saison hivernale prochaine). Les incantations des politiques devant les caméras, assorties des mesurettes péniblement acceptées par les professionnels de la pêche, ne suffiront pas à faire baisser la mortalité d’une espèce protégée emblématique. Elles ne feront plus désormais illusion devant une opinion publique de plus en plus inquiète et étonnée de cette absence de protection des dauphins en France.

Les éléments essentiels de l’avis du CIEM

Les incertitudes sur la mortalité du dauphin commun dans le golfe de Gascogne sont très fortes en raison du manque de contrôle des pêcheries françaises (et espagnoles), contrôles inférieurs aux spécifications de l’UE. Ces mauvaises données plombent l’ensemble de la démarche de contrôle de la mortalité.

Selon toute vraisemblance, les chaluts en boeuf (pélagiques ou démersaux) causent une forte mortalité, mais qui n’est pas la majorité de la mortalité totale, laquelle est provoquée aussi par divers métiers très peu ou pas documentés, y compris les filets maillants et trémails, les chaluts simples, et les sennes. Par conséquent, l’équipement en balises acoustiques dissuasives des chaluts en boeuf ne suffira pas à résorber la majorité de la mortalité.

Les dauphins communs de tout l’Atlantique nord-est formeraient une seule entité de population

L’unité de population prise en compte pour les calculs de seuils de mortalité de dauphins communs est toute la population de l’Atlantique Nord-Est. Par conséquent, le seuil de mortalité ‘tolérable’ déterminé doit être confronté à toutes les mortalités anthropiques de l’ANE et non aux seules estimations de mortalités en pêche dans le golfe de Gascogne.

L’approche employée pour calculer les seuils est celle du ‘Potential Biological Removal’ (PBR, Wade 1998), employée de longue date par l’office des pêches des Etats-Unis. Cette approche a pour objectif de maintenir sur le long terme une population sauvage à son niveau maximal de ‘productivité’. Son application au cas des dauphins communs de l’ANE suggère que la mortalité totale ne doit pas dépasser le seuil de 1% de l’estimation basse de population. Comme cette estimation vaut 493 000 individus, la mortalité maximale tolérable sur tout le bassin serait de 4930 dauphins. Or les mortalités par pêche estimées uniquement dans le golfe de Gascogne (travaux de PelaGIS La Rochelle) sont très supérieures à ce seuil maximal.

On a longtemps cru que les chaluts pélagiques étaient les responsables quasi-uniques de l’hécatombe, mais ici c’est un filet maillant

En partant des taux de mortalité estimés actuellement et de seuils tolérables variant selon l’option politique de ‘gestion’ de la mortalité (allant d’un seuil de 100% de PBR à un seuil de 10% du PBR), le CIEM propose un ensemble de scénarios incluant des fermetures temporelles partielles des pêcheries incriminées dans la mortalité et l’emploi de balises acoustiques dissuasives (BAD) par les chalutiers en bœuf.

15 scénarios au total, adaptés à différents objectifs de ‘gestion’ du problème des captures

Parmi ces propositions, il y a une baisse importante dès la prochaine saison, et un objectif de mortalité faible à 5 ans. Parmi les scénarios testés, une fermeture de 2 mois de toutes les pêches concernées (mi-janvier à mi-mars) et un équipement en balises acoustiques dissuasives de tous les chalutiers en paire permettraient de parvenir à une réduction de capture jusqu’à un niveau de 50% du PBR, soit 2465 dauphins, avec un faible risque d’échec.

La pérennité de cette population protégée impose une réduction de 50% de la mortalité dès 2020-2021

Ce scénario associé à un objectif à 5 ans de capture résiduelle de 10% du PBR (soit 493 dauphins), également avancé par le CIEM, constitue une bonne approche de la réduction du problème des captures dans le golfe de Gascogne. Cette démarche peut être retenue par une ONG scientifique de protection de la Nature comme le Groupe de Recherche sur les Cétacés.

A terme, une réduction drastique de la mortalité sera exigée par l’opinion publique

L’objectif à 5 ans peut être atteint par paliers au moyen de ces fermetures spatio-temporelles associées à des mesures ciblées basées sur une compréhension scientifique des phénomènes. Ce scénario suppose un effort inédit d’observation des pêches dans la région et de recherche scientifique sur l’écologie du dauphin commun dans le golfe de Gascogne.

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