Les pingers, solution magique ou pis-aller ?

Le pinger est ‘LA’ solution mise en avant pour résoudre les problèmes d’interaction entre pêche et cétacés dès lors qu’on ne sait plus comment faire. En tant que tel, la solution ‘pinger’ a déjà été testée en France, comme par exemple dans le cas de la ‘thonaille’ méditerranéenne (ce grand filet pélagique qui dérivait mais n’était pas ‘dérivant’ selon les pêcheurs provençaux soutenus par l’Etat) et de la mortalité de dauphins bleus et blancs, ou envisagée et expérimentée dans le cas des chaluts pélagiques et des dauphins communs de Gascogne (Morizur et al. 2008). Dans le monde, l’emploi de ‘pingers’ entraîne souvent une réduction de captures de marsouins ou de dauphins de l’ordre de 50% ou plus selon la littérature scientifique (Barlow & Cameron 2003; David 2005; Larsen et al. 2014). Même si dans certains cas, les pingers ne suffisent pas à enrayer le déclin d’une espèce menacée par les captures par pêche, comme pour le Dauphin de Hector (Dawson et al. 2005), la solution ‘pinger’ est souvent employée pour réduire les captures en dessous d’un seuil jugé ‘tolérable’ par les gestionnaires.

Dauphin commun
Pour ne pas me capturer, il faudrait me faire mal aux oreilles ?

Avant de continuer sur le cas de la mortalité massive de Delphinus dans le golfe de Gascogne, il faut rappeler que le terme ‘pinger’ désigne des balises acoustiques aux finalités différentes, selon la puissance des sons émis, très variable. A l’origine, le terme ‘pinger’ désignait des dispositifs d’une première catégorie, les ADD (acoustic deterrent devices), d’un niveau de source inférieur à 150 décibels (re1µPa@1m), qui étaient destinés à signaler un filet, ‘engin dormant’, dont la présence échappait à la vigilance des cétacés. Les cétacés ne perçoivent pas le filet synthétique en raison de sa visibilité très faible à la fois dans le domaine visuel et dans le domaine acoustique (très faibles échos renvoyés au biosonar du dauphin ou du marsouin), et aussi parce qu’il est placé à un endroit pour eux incongru, comme au grand large (cas des filets dérivants) imaginez une vitrine au milieu d’une cour de récréation ! Des pingers émettant avec un niveau de source de 130 à 145 décibels dans la bande audible des cétacés sont généralement satisfaisants pour provoquer la vigilance des cétacés … à condition d’être placés régulièrement tout au long de l’engin de pêche, par exemple tous les 100 mètres.

Comme tous les animaux, le Dauphin commun entend mieux à certaines fréquences (audiogramme d’après Popov et al. 1998): pour lui c’est entre 40 et 100 kHz
Sifflements et tics de dauphins communs

Les dispositifs de la seconde catégorie ont un niveau de source généralement supérieur à 185 dB, et ils étaient connus sous le vocable anglais AHD (acoustic harassment device). La différence d’ordre de grandeur entre le niveau sonore d’un répulsif ADD et celui d’un AHD est à peu près la même que celle entre un sèche-cheveux et une tronçonneuse. Les AHD sont conçus pour empêcher quasi-physiquement les mammifères marins d’approcher d’une installation telle qu’une ferme aquacole, et leur principe repose sur une forte puissance d’émission censée repousser les phoques ou les cétacés. Le niveau sonore reçu par les cétacés (ou les phoques) est ici tel que la douleur les empêche de s’approcher. Un niveau sonore très élevé provoque en effet la douleur chez les mammifères, y compris chez l’être humain pour lequel la douleur survient pour environ 120 décibels. Mais, on a constaté que l’emploi de dispositif AHD pour protéger les fermes aquacoles provoquait non seulement l’éloignement (voulu) des phoques, mais aussi celui (non voulu) des marsouins ou des orques (Olesiuk et al. 2002; Morton & Simmonds 2002), engendrant une perte d’habitat vital. Dans le cas d’un emploi généralisé comme en Ecosse, l’étendue marine concernée par des niveaux sonores trop élevés se chiffre en milliers de km2 (Todd et al. 2021), avec un impact auditif concernant potentiellement des milliers de marsouins. Ces exemples démontrent que l’effet des répulsifs de forte puissance sur des espèces variées est très important jusqu’à plusieurs dizaines de km.

Olesiuk et al. (2002) ont démontré l’effet de répulsifs anti-phoques sur la population de marsouins en Colombie britannique (à gauche avant les répulsifs, à droite, avec)

Des niveaux transmis de l’ordre de 140 dB (cas des pingers ADD) provoquent déjà un éloignement des cétacés, qui est utilisé pour protéger les engins de pêche des déprédations causées par les grands dauphins Tursiops en quête de nourriture ‘facile’, comme par exemple pour des filets calés aux Baléares (Brotons et al. 2008) ou des fermes aquacoles en Méditerranée (Lopez & Marino, 2011). Un bon effet de dissuasion d’approche des filets a été obtenu par des balises de 145 dB de niveau de source. Comme tout ce qui a trait à l’effet des sons sur la faune marine, la fréquence des signaux émis conditionne fortement le résultat : pour avoir un effet maximal, le son d’effarouchement doit se situer dans le domaine de meilleure audition de l’espèce visée (Kastelein et al. 2006). De plus, l’effet peut être maximisé si le type de signal est variable, ainsi que son rythme d’émission, ceci afin de réduire la possibilité que les dauphins s’habituent à la nuisance acoustique et qu’elle devienne inopérante. Mais attention à une autre éventualité non voulue, celle de générer un effet ‘dinner-bell’ sur l’espèce cible ou un autre mammifère marin : on observe alors une attraction vers les engins de pêche -synonymes de nourriture- que les animaux repèrent grâce aux bruits des pingers.

LieuEngin de pêcheNiveau de sourceEspèceTaux de réduction des captures (N test)référence
ArgentineFilet posé peu profond132 dBDauphin franciscain6 (n = 604)Bordino et al. (2002)
CalifornieFilet dérivant pélagique132 dBDauphin commun et autres espèces6,7 sur dauphins communs (n = 609)Barlow & Cameron (2003)
CalifornieFilet dérivant pélagique132 dBZiphiidés2 (n = 7683)Carretta et al. (2008)
MéditerranéeFilet dérivant pélagique145 dBDauphin bleu et blanc2,6 (n = 405)David (2005)
GascogneChalut pélagique180 dBDauphin commun3,1 (n = 260)Morizur et al. (2008)
Résultats obtenus lors de l’emploi de dispositifs acoustiques lors d’expériences avec des pêcheries

Employés sur un chalut dans lequel les dauphins viennent se nourrir volontairement, les dispositifs testés sont des répulsifs AHD. Dans le golfe de Gascogne, Morizur et al. (2008) avaient testé différents types de pingers (projet européen Necessity) pour diminuer les captures de dauphins communs dans les chaluts pélagiques en bœuf ; dont deux AHD expérimentaux, le Dolphin Dissuasive Device (STM-products), et le Cetasaver (Ifremer/IXTrawl) d’environ 180 dB de niveau de source en très haute fréquence. Après des expériences en eaux libres qui avaient démontré un effet de répulsion sur les dauphins, des essais avaient eu lieu sur un chalut équipé, en 2007 et 2008 : sur 260 traits de chaluts avec ou sans AHD, le répulsif Cetasaver3 avait montré une réelle efficacité, avec un taux de capture de dauphin divisé par 3. Dix années plus tard, un taux de réduction voisin a été obtenu lors de tests préliminaires de pingers réalisés à l’initiative de l’organisation professionnelle Pêcheurs de Bretagne sur trois paires de chalutiers pélagiques (Rapport final du projet PIC, Rimaud et al. 2019). Pourquoi aucun déploiement à grande échelle n’a eu lieu pendant cet intervalle de temps, puisque des dispositifs répulsifs parviennent à réduire de moitié les captures de dauphins dans les chaluts pélagiques ?

Les répulsifs acoustiques de forte puissance ont un inconvénient : ils repoussent les dauphins et les marsouins loin des engins de pêche, certes, mais ils repoussent aussi les cétacés en dehors de zones où ils se nourrissent, activité vitale s’il en est. La zone d’évasion peut être évaluée par observation ou calcul, elle doit valoir entre 100 et 1000 m autour du chalut équipé. Que se passe-t-il si 100 chalutiers sont équipés de répulsifs ? Où vont les dauphins, comment mangent-ils ? Est-ce qu’une division par deux de la mortalité des dauphins est satisfaisante ? Ces questions restent posées.

Si le Dauphin commun entend au mieux en très haute fréquence, il communique beaucoup dans la bande des 6-20 kHz (ici des sifflements)

Si les effets écosystémiques provoqués par des répulsifs sur une centaine de chaluts sont certainement significatifs, qu’en serait-il du déploiement de ces engins puissants sur plusieurs centaines de filets de plus d’un kilomètre de long ? Un effet énorme de désertion d’habitat vital. C’est pour cette raison qu’au niveau mondial, ce sont des engins de type ADD qui sont utilisés pour diminuer les captures dans les filets calés, et engins dormants : leur niveau de source est plus faible (de l’ordre de 145 dB). En ce qui concerne le Dauphin commun, des essais concluants ont été réalisés récemment au Portugal (programme LifeMarPro) apportant des données en grand nombre (plus de 1400 calées) : une réduction du taux de capture de plus de 50% a été obtenue. Pourquoi le déploiement de ces pingers ADD n’est-il pas favorisé actuellement dans le golfe de Gascogne ? Est-ce que les fileyeurs ne sont pas responsables d’un grand nombre de morts eux aussi ? En fait, le déploiement d’une solution ‘pinger’ ne peut être couronné de succès que si des expériences rigoureuses et robustes ont été menées sur chaque pêcherie incriminée (Hamilton & Baker, 2019).

On le voit, les pingers et autres répulsifs ne sont pas une solution magique : ils ne diminuent pas suffisamment la mortalité, provoquent des effets indésirables importants quand ils sont déployés à grande échelle, et les résultats ne peuvent être effectifs qu’au cas par cas, après une étude minutieuse. Mais ils doivent par contre être envisagés quand la situation est hors de contrôle.

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