Bizarre, bizarre, … j’ai dit ‘atypiques’ ? Comme c’est bizarre !

La toute récente série d’échouements de Ziphius sur les côtes varoises interroge à plus d’un titre et il serait irresponsable pour un naturaliste de ne pas se pencher sur ce cas atypique.

Trois ziphius
La loi française interdit strictement de détruire les Ziphius

Il est bien entendu que des examens sont en cours sur les organes de plusieurs de ces Ziphius, et que ces examens livreront probablement des explications sur la cause de ces échouements mortels.

Rappelons tout d’abord les faits tels qu’ils nous sont connus, c’est-à-dire la date et le lieu de ces échouements récents, de 2017 et 2018.

Datelatitudelongitudedcctaillesexe
30/05/201743°28,00 N7°12,00 E4 ??
24/11/201743°25,00 N6°50,00 E3510F
08/01/201843°13,42 N6°39,46 E3487F
11/01/201843°12,47 N5°32,00 E0450M
11/01/201843°12,47 N5°32,00 E1545F

Tableau: série d’échouements de 2017 à janvier 2018

Les échouements de Ziphius sur le littoral français de Méditerranée ne sont pas rares, les statistiques du réseau national des échouages nous le prouvent: depuis 1972, la statistique est même suffisamment longue pour nous indiquer que cette espèce s’échoue en moyenne 0,6 fois par an (27 échouages entre 1972 et fin 2017).

Graphe chronologique des échouements de Ziphius en Méditerranée française de 1972 à 2018 (données RNE complétées) – la moyenne annuelle est le trait en tirets bleus

Les événements d’échouements multiples, à partir de 3 individus, dans une même zone pendant une courte période de temps sont par contre rares: on compte à peine quatre cas en 45 ans: cas n°1 – l’échouement de 4 individus au nord de la Corse en 1974 (entre le 16 et le 22 décembre), cas n°2 – l’échouement de 3 individus dans le Var en 1984 (entre le 2 octobre et le 23 novembre), cas n°3 – 3 individus (dont 2 vus morts en mer) encore dans le Var (entre le 10 et le 14 octobre), et enfin, cas n°4 – de début janvier 2018 encore en Provence (3 individus entre le 8 et le 11 janvier, dont un entré vivant dans le port de Cassis).

Échouement de Saint-Raphaël, 24 novembre 2017

Les séries d’échouaements peuvent être décrits en statistique par une loi exponentielle, similaire par exemple à l’occurrence de pannes ou d’accidents dans les équipements, une loi dont la paramètre serait ‘0,6’ échouement par an. L’emploi de ce modèle permet d’affirmer que les échouements de Ziphius à quelques jours d’intervalle sont extrêmement peu probables: il y a 0,5% de probabilité qu’un échouement survienne 3 jours après le précédent, de manière fortuite. Autrement dit, il est quasi certain qu’une série de 2 ou 3 échouements consécutifs est provoquée par une cause inhabituelle.

Quelle cause inhabituelle ?

Pour le cas n°1, de 1974, trois des quatre individus sont signalés comme ‘portant des traces de plombs‘, action humaine, donc. Pour le cas n°2, de 1983 dans le Var, les comptes-rendus d’échouage n’indiqueraient rien de particulier. Mais la typologie des échouages et leur localisation permettent d’attribuer un indice 3 (voir échelle de D’Amico, plus bas), sur la possibilité d’interaction entre des activités navales, donc, et cet échouage ‘en grappe’.

Carte des échouages en Méditerranée française de 1971 à 2018 ; les pentagones rouges sont les échouages atypiques, ou échouages en série se produisant dans une même zone.

Pour le cas n°3, mi-octobre 2008 dans le Var, deux individus morts sont observés (dont un cadavre en mer) et photographiés et mentionnés comme déjà putréfiés et avec une corpulence normale. Un troisième individu, de taille adulte, est signalé comme dérivant près des îles du Levant, mais n’a pas pu être examiné. Des observations et des enregistrements en mer dans la zone font état du déroulement d’un exercice naval du 22 au 26 septembre, confirmé plus tard par la préfecture maritime, et incluant plusieurs frégates ASM et des aéronefs. Ce cas relève donc certainement d’une interaction entre sonars militaires et ziphius, donc c’est un échouage atypique accidentel confirmé (indice 1 ou 2 sur l’échelle de D’Amico).

Échouage de Pampelone, 8 janvier 2018

Pour le cas n°4, celui qui nous préoccupe en ce moment, le premier cadavre relevait d’une mort survenue 1 à 2 semaines avant son échouage (fin décembre donc), et les deux animaux du 11 janvier étaient vivants ou très frais. Ces trois Ziphius étaient en ‘bon état général’ au moment de leur mort ou échouage. Des ‘avurnav’ émis par la préfecture maritime font état d’une activité militaire régulière en mer fin décembre et début janvier. Ce double cas relève donc d’un échouage probablement lié à des activités militaires (indice 2 ou 3 sur l’échelle de D’Amico).

Échouage de Cassis, 11 janvier 2018

Par conséquent, les quatre cas d’échouements groupés ou en grappe signalés en Méditerranée française depuis 1972 relèvent d’activités humaines nocives (Corse, 1974), ou d’activités militaires navales probables à certaines, selon les informations objectives disponibles.

Conclusion: aucune personne de bonne foi ne peut affirmer que les échouements atypiques survenus en Méditerranée française ne sont jamais causés par des sonars militaires.

La question suivante qui vient à l’esprit, et à laquelle une littérature abondante est consacrée, est : quels sont les scénarios qui entraînent des échouements de Ziphiidés lorsque des émissions sonores intenses, notamment militaires, sont produites par l’homme ?

Ziphius-6020
Le GREC a beaucoup travaillé sur les Ziphius – Notre conviction: les échouements ‘accidentels’ mettent en péril la population liguro-provençale de cette espèce. Ils doivent donc cesser.

Alexandre et cetaces.org

Annexe

Les échouements atypiques de ziphiidés : l’échelle de D’Amico et al. (2009)

(Beaked whale strandings and naval exercises. Aquatic Mammals 35(4): 452-472).

Il s’agit de l’échelle de vraisemblance du rôle de sonars à moyenne fréquence dans les échouements atypiques de ziphiidés, s’étendant de 1 (causalité robuste) à 5 (corrélation improbable).

Critères de détermination de l’échelle

1- Causalité robuste
Données détaillées sur le déroulé temporel et le lieu des échouages et des transmissions actives de sonars militaires ET absence d’évidence d’une cause alternative d’échouement.

2- Causalité probable
Connaissances incomplètes sur le déroulement des activités navales avérées (y compris les informations sur l’activité des sonars militaires) et le lieu des échouements ET absence d’évidence d’une cause alternative d’échouement.

3- Causalité possible
Pas de connaissance sur l’activité éventuelle de sonars MAIS les échouements sont proches en temps et en lieu d’une base navale ou d’un navire près desquels une activité sonar est plausible, bien que non documentée.

4- Causalité inconnue
Aucune connaissance de l’activité de sonars dans la zone.

5- Causalité très improbable
Pas d’évidence d’activité sonar MAIS évidence d’une autre cause possible de l’échouement.