Utile … comme une baleine bleue

Depuis le moratoire sur la chasse à la baleine de 1986, les populations de certaines espèces menacées ont vu leur situation s’améliorer et se stabiliser. Cela pousse certains pays, favorables à la chasse à la baleine, à accuser celles-ci d’être responsables de la chute de certains stocks de poissons commerciaux, argumentant dans le sens d’une reprise de cette chasse baleinière (Gerber et al., 2009). Cet argumentaire est basé sur le modèle « surplus-yield » (« plus de rendement ») qui prédit que si l’on supprime un prédateur d’un écosystème, la proie qui aurait dû être consommée par celui-ci va devenir disponible pour les stocks de pêche. Lavery et al. (2014) opposent un regard complètement différent à cette idée…

L'océan Austral voit ses populations de grands rorqual se reconstituer peu à peu
L’océan Austral voit ses populations de grands rorquals se reconstituer peu à peu

L’Océan austral présente des caractéristiques particulières : il est riche en nutriments (nitrates, phosphates, …), mais présente une faible biomasse de phytoplancton, en raison de faibles taux en fer. A la suite d’expérimentations, il a été démontré que l’augmentation de la concentration en fer dans ces eaux stimulerait la production de phytoplancton. Et qui dit augmentation du phytoplancton, premier maillon de la chaîne trophique, dit augmentation de zooplancton, puis de poissons, etc … Et bonne nouvelle, les baleines bleues rejettent du fer dans l’environnement … par leurs déjections ! Si les baleines, au lieu de consommer les ressources marines, augmentaient plutôt indirectement les stocks de poissons ?

C’est ce que Lavery et al. (2014) ont démontré en étudiant les apports des fécès de baleines bleues dans l’environnement et leur impact sur la production primaire dans l’Océan austral ! La production primaire est exprimée en masse de carbone assimilé par unité de temps.

Rorqual bleu scp ROMM
Le Rorqual bleu mange du krill … mais fertilise le plancton

Le modèle « surplus-yield » basique suppose que toute la production marine consommée par les baleines n’est plus disponible pour les poissons. La population actuelle de baleines bleues, estimée à 5 000 individus en 2012, consomme 1,6 millions de tonnes de krill par an. La production primaire liée à cette consommation de petits crustacés est de 2,6 millions de tonnes de carbone par an. Cette consommation de krill s’élèverait à 73 millions de tonnes par an si la population de baleines retrouvait son état initial (estimé à 239 000 individus), soit 120 millions de tonnes de carbone par an (Figure 1). Donc le modèle basique suggère un gros manque à gagner pour le développement des stocks de poissons, si les baleines revenaient à leur stock initial !

Rorqual 1987 Islande
Pour les baleiniers, l’équation serait plus simple avec des rorquals « purs prédateurs »

Lavery et al. (2014) ont modifié le modèle « surplus-yield » basique : ils ont ajouté ce paramètre important qu’est le largage de fer dans l’eau de surface par les fécès de baleines. Ce nouveau modèle prévoit a contrario que la population de baleines bleues ferait augmenter de 1,1 x 1010 kg la production annuelle de carbone si elle retrouvait son état initial dans l’Océan austral (Figure 1). Une augmentation de production primaire qui serait donc favorable aux poissons commerciaux.

Evolution
Evolution de la masse de carbone par an estimé selon le modèle traditionnel et le modèle modifié de « surplus-yield » comparée à l’évolution de l’abondance de baleine bleue dans l’Océan austral (Lavery et al., 2014)

Ainsi, par leurs fécès, les baleines fertiliseraient en quelque sorte leur environnement et permettraient au phytoplancton et au krill de se développer, elles auraient donc un impact positif sur les stocks de poissons !

Bibliographie
Gerber L.R., L. Morissette, K. Kaschner, D. Pauly, 2009. Should whales be culled to increased fishery yield ? Science. Vol 323.
Lavery T.J., B. Roudnew, J. Seymour, J. G. Mitchell, V. Smetacek, S. Nicol, 2014. Whales sustain fisheries: Blue whales stimulate primary production in the Southern Ocean. Marine Mammal Science. 30(3): 888–904.

Copyright: Sandra Fuchs et cetaces.org.