Sanctuaire PELAGOS : la gestation

Côté cuisine, des scientifiques, dont le Groupe de Recherche sur les Cétacés

En 1996, le sanctuaire PELAGOS est toujours en gestation : après la déclaration d’Antibes de 1993, les services gouvernementaux des trois pays concernés travaillent à donner corps à un objet juridique non identifié, une aire marine protégée internationale. Elles se servent pour cela de conventions existantes, telle la CMS, convention sur les espèces migratrices.

Anacaona ‘la grande’, plate-forme qui permit les prospections intensives dans les années de gestation de PELAGOS

La question des limites de PELAGOS n’est pas encore tranchée : on parle d’étendre l’aire Ligure initiale vers l’ouest et le sud-ouest, côté français, et en contrepartie vers l’est et le sud-est, côté italien. Même si des considérations non scientifiques entrent en jeu, comme la présence de grands ports militaires, les peuplements de cétacés demandent à être mieux documentés pour affermir le dossier.

Préciser le peuplement de cétacés du Sanctuaire : voilà qui allait nécessiter de très longues journées de prospection en 1996

Les prospections fondatrices réalisées grâce à Greenpeace et à son bateau le Sirius en 1991 et 1992 n’avaient pas suffisamment documenté la zone nord-méditerranéenne. En Italie et en France, deux groupes disposent de moyens légers pour cartographier la présence des cétacés : l’Institut Tethys, et le Groupe de Recherche sur les Cétacés, qui agit de concert avec l’Ecole Pratique des Hautes Etudes de Montpellier.

En août 1992, l’université de Barcelone et l’institut Tethys avaient réalisé la première prospection dans la zone du futur sanctuaire, grâce au bateau de Greenpeace, le Sirius (carte extraite de Forcada et al. 1995)

En 1996, l’extension géographique des recherches de Tethys est contrainte : des écovolontaires embarquent chaque semaine sur la côte ligure italienne. Le GREC de son côté dispose de son nouveau bateau, un voilier de 12 mètres adapté à l’activité d’un équipage scientifique de 6 personnes. C’est dans l’esprit de fournir des données de référence pour le sanctuaire qu’est organisée la prospection estivale de 1996, avec une participation d’étudiantes en thèse de l’EPHE et de petits financements obtenus de la Direction régionale de l’Environnement de la région PACA.

Le plan d’étude prévu fut respecté, à cela prêt que des ‘raccords’ furent nécessaires pour combler les ‘trous’ causés par les sursauts de vent …

Entre le 16 juillet et le 10 août 1996, nous prospectons l’aire liguro-provençale du futur PELAGOS selon de belles lignes droites, permises par la propulsion généreuse du voilier Anacaona. Même si les zig-zags ne sont pas aussi parfaits qu’ils le devraient car nous devons tenir compte des possibilités de ravitaillement en fuel en Corse, et des interruptions pour cause de météo agitée. Les trajets permettent tout de même de boucler la prospection entre deux épisodes de coup de vent, dans un temps restreint.

L’équipe de prospection dans une configuration qui fut testée mais pas adoptée pour cette étude de 1996

Une telle prospection demande un équipage expert et motivé car les conditions imposent à chacun non seulement de prendre ses tours d’observation durant la journée, mais en plus de participer aux quarts de nuit pour assurer la navigation. Il faut toujours rappeler que les activités du Groupe de Recherche sur les Cétacés imposent le bénévolat des équipiers.

La distribution des rorquals et des dauphins bleu et blanc entre le 16 juillet et le 09 août 1996

La prospection ‘Sanctuaire 1996’ fut réalisée selon la méthodologie visuelle-acoustique combinée, permettant donc d’avoir une vue réaliste de la distribution du Cachalot dans le sanctuaire… il faut sans cesse souligner que l’acoustique passive est indispensable à l’exécution d’une prospection cétologique, y compris de nos jours ! L’hydrophone remorqué offert par l’équipe de Song of the Whale en 1994 avait entre temps été révisé et fonctionna à merveille.

Grâce à ces résultats acoustiques, on constate que les cachalots étaient assez regroupés au large, à cette époque reculée

Bilan de ces quatre semaines intenses : 1400 km de prospection (en comptant les transits en effort) et 155 observations, dont 98 de dauphins Stenella et 48 de Rorqual commun. Trois autres espèces ont été observées : le Globicéphale noir (5 obs.), le Cachalot (2 obs.) et le Grampus (2 obs.), les deux premières espèces au sud-ouest du futur sanctuaire, et le Dauphin de Risso dans le golfe de Gênes. A souligner que le Cachalot a été repéré à 25 reprises lors des écoutes systématiques à l’hydrophone.

Visiblement, ce cachalot a failli laisser sa peau lors d’une collision avec un navire …

La partie liguro-provençale de PELAGOS bénéficie ainsi des résultats les plus précis dès 1996, les estimations de population estivales étant diffusées grâce à un article scientifique dans une revue internationale. La densité de Dauphin bleu et blanc est ainsi évaluée à 0,56 individu par km2 avec une incertitude de +/- 26 % (CV) soit une population estivante de 28 385 dauphins (entre 20 000 et 38 000) dans cette zone du futur sanctuaire. Notons que les prospections ont concerné les eaux de profondeur supérieure à 200 m (pour des raisons de temps), ce qui explique pourquoi nous n’avons pas observé de dauphins Tursiops truncatus et, dans une moindre mesure, Delphinus delphis.

Des dauphins de Risso (avec nouveau-nés) au rendez-vous, dans le golfe de Gênes

La densité de rorqual avait été évaluée à 1,67 individu par 100 km2 (+/- 20,7 %) soit une population estivante de 839 individus (entre 520 et 1150 baleines, selon l’intervalle de confiance). Observons que les deux résultats étaient conformes à ce que l’on attendait d’après les travaux antérieurs, mais exprimés pour les limites exactes de PELAGOS en gestation, à l’époque, ce qui constituait vraiment une première du GREC.

Ce rorqual est amaigri et transporte de nombreuses pennelles, ce qui n’est pas un signe de grande tonicité …

La distribution des baleines constituait un des résultats de cette prospection de 1996 : les relevés montraient que le Rorqual commun était plus abondant dans l’ouest du futur PELAGOS. En d’autres termes, du point de vue scientifique, les limites du futur sanctuaire devraient logiquement être repoussées plus à l’ouest, selon nos résultats. Pour en avoir le coeur net, nous réalisâmes quelques prospections complémentaires début-août 1999.

Un complément d’une semaine en 1999 nous permit de préciser la répartition du rorqual dans l’ouest du futur PELAGOS

Les nouveaux résultats confirmèrent que la zone ligure centrale du futur PELAGOS pouvait être moins favorable aux baleines au milieu de l’été, au moins certaines années, par rapport à la zone provençale. Autrement dit, les limites du sanctuaire allaient englober une région riche en dauphins et en baleines, mais pas LA zone favorable de Méditerranée occidentale. Autre résultat de ces 5 journées complémentaires de 1999, le Dauphin commun intégrait le groupe des espèces officiellement présentes dans PELAGOS, grâce à une observation faite sur le talus ouest corse.

Il était resté ‘sous le radar’ en 1996, mais en 1999 le dauphin commun rejoignit le groupe des espèces estivantes dans le Sanctuaire

Mais en 1999, l’extension prévue de PELAGOS avait évolué, puisqu’une région tyrrhénienne lui était adjointe entre la Corse et l’Italie. ‘Bébé PELAGOS’ venait donc d’acquérir sa conformation définitive, trois années avant le terme de sa longue gestation. Voilà qui allait motiver de nouveaux travaux cétologiques pour le Groupe de Recherche sur les Cétacés !

Alexandre et cetaces.org