Sanctuaire PELAGOS : la genèse

Recherches cétologiques ayant accompagné la conception de PELAGOS

Cette année, le Sanctuaire PELAGOS va célébrer ses 20 ans, peu de temps après que l’accord ACCOBAMS a fêté ses 25 ans. Que de temps passé à débattre de la protection des cétacés en Méditerranée et à promouvoir des actions effectives en terme de résultats.

Quel est le rapport entre le petit voilier au premier plan, le pêcheur avec ses 10 km de filets dérivants, et le Sanctuaire PELAGOS ci-dessous ?

C’est le 21 février 2002 que l’accord ‘relatif à la création en Méditerranée d’un sanctuaire pour les mammifères marins’, conclu à Rome le 25 novembre 1999, est entré en vigueur. Mais auparavant, une dizaine d’années d’efforts avait permis la conception puis la gestation de PELAGOS.

Le Sanctuaire PELAGOS dans ses frontières actuelles, qui sont le résultat des compromis institutionnels et des résultats scientifiques existant dans les années 90.

C’est l’occasion pour le Groupe de Recherche sur les Cétacés de rappeler ses contributions scientifiques aux phases de conception et de gestation du Sanctuaire, il y a plus de 30 ans. Le noyau du GREC fut le ‘groupe Anacaona’ qui entreprit des prospections cétologiques de 1988 à 1991, année qui vit l’association commencer sa collaboration avec l’Ecole Pratique des Hautes Etudes.

La première année de recherche montra que le futur Pelagos était en été une nurserie de dauphins bleus et blancs (ici au large du Cap Corse en août 1988)

Les trois premières années de recherche permirent au groupe de mettre en évidence l’intérêt de la région ligure pour les populations de cétacés : on y rencontrait beaucoup plus de dauphins de diverses espèces et de rorquals qu’ailleurs en Méditerranée occidentale. La mer d’Alboran n’avait pas pu être prospectée à cette époque : la petite Anacaona, et surtout son moteur de 16 chevaux, n’y suffisait pas.

Mais l’aspect le plus spectaculaire était évidemment la présence d’un petit milliers de rorquals communs en mer liguro-provençale

Ces constatations préliminaires vinrent renforcer l’intérêt de créer une zone protégée internationale dans la région ligure. Mais le premier projet prévoyait une petite emprise du Cap Corse au continent. Tandis que l’institut Tethys déployait ses efforts du côté italien, le GREC entreprit de se focaliser sur la zone liguro-provençale et ses approches.

Trois années pour y voir plus clair : nos prospections de 1988 à 1990 mirent en évidence l’intérêt de la région ligure

De 1991 à 1995, les recherches s’intensifièrent pour fournir des données numériques capables de justifier la démarche ‘Sanctuaire International’, puisque cette initiative à plusieurs Etats (France, Italie, Monaco) était à l’époque révolutionnaire.

Des grands dauphins au nord-ouest de la Sardaigne, future frontière méridionale de PELAGOS

Il faut dire que l’actualité se prêtait bien à cette initiative : de 1990 à 1991, des dizaines de milliers de dauphins bleus et blancs étaient morts de maladie en Méditerranée (le tristement célèbre morbillivirus). De plus des milliers de cétacés mouraient chaque année dans des filets dérivants (surtout italiens à l’époque) destinés à attraper thons et espadons.

Morbillivirus ou filet dérivant ? En tout cas, ce Stenella mort est observé début juillet 1991

La presse s’intéressait au sujet, et donc… les politiques commençaient à s’en préoccuper. Pendant que le GREC accumulait les milliers de milles et les centaines d’observations, d’autres s’activaient pour que la ‘mayonnaise’ prenne au niveau institutionnel : ce fut le cas en France pour l’association RIMMO (Réserve Internationale Maritime en Méditerranée Occidentale).

A l’époque, le cachalot était rare dans le nord de la Méditerranée, sa population ayant été décimée par les filets dérivants ; celui-ci est vu en août 1993.

En novembre 1992, la ‘déclaration d’Antibes’ de Ségolène Royal, ministre de l’Environnement, suivit de peu un reportage réalisé par une équipe de TF1 à bord du voilier de recherche du GREC, la petite Anacaona. Je me rappelle encore le visage perplexe des journalistes lorsqu’ils mesurèrent (des yeux) les dimensions de notre voilier (9 m quand même) le matin du départ, à 7 heures.

Les trois journalistes de la ‘Une’ au soir d’une journée mémorable … et pleine de promesses pour le futur Sanctuaire

Le 7 septembre 1992, ces journalistes avaient en effet servi d’ambassadeurs au futur PELAGOS, avec Anacaona en entremetteuse : 13 observations en 13 heures, c’est plus qu’il n’en fallait à Florence Schaal de TF1 pour mitonner un reportage enchanteur sur le besoin d’un Sanctuaire, ici et maintenant.

Si TF1 le dit, c’est que c’est vrai, non ? En tout cas, l’équipe télé qui embarqua sur Anacaona le 07 septembre 1992 n’eut pas besoin d’inventer l’abondance des cétacés dans la région !

Avec le recul, il me semble que ce reportage de TF1 fut le véritable déclencheur du mouvement qui vit la création formelle de PELAGOS une décennie plus tard. Les premiers bilans scientifiques du GREC soulignaient toujours plus l’intérêt de PELAGOS, mais dans une zone très élargie par rapport au projet initial. D’autres prospections cétologiques, vers l’ouest, allaient aider à documenter scientifiquement le nord de la Méditerranée, et aboutir à fixer les frontières définitives du Sanctuaire, celles que l’on connait maintenant.

Les prospections de 1991 à 1995 servirent à mettre en évidence l’intérêt de la future zone choisie pour Pelagos

Toutefois, la gestation du projet ‘PELAGOS’ devenait davantage l’affaire des Etats : ce bébé compliqué nécessita de nombreuses réunions auxquelles nous n’assistions pas. Notre part du travail consista à réaliser encore des zig-zags plus ou moins rectilignes pour s’atteler à une autre étape nécessaire : la détermination des abondances des différents cétacés dans la région du Sanctuaire, et à côté. En quelque sorte, nous réalisions les échographies du bébé !

A quoi ressemblait le futur bébé PELAGOS pour le Groupe de Recherche sur les Cétacés, en 1995 ? A deux camemberts … réalisés avec 1338 observations de cétacés !

C’est en novembre 1995, lors de la conférence RIMMO d’Antibes, que le Groupe de Recherche sur les Cétacés exposa l’essentiel de ses résultats sur le peuplement de cétacés du futur Sanctuaire PELAGOS, avec des éléments permettant de situer le futur espace protégé au sein de son environnement.

‘Chouette, je vais enfin pouvoir me promener sans mourir dans des filets’ pensait peut-être ce Stenella en août 1993 …

La phase terminale de la gestation de PELAGOS pouvait commencer… au niveau scientifique, elle allait nécessiter des travaux encore plus précis. Pour ce qui est du côté français, le Groupe de Recherche sur les Cétacés allait encore y contribuer fortement. C’est ce que nous verrons bientôt.

Alexandre et cetaces.org