Dauphins de l’Atlantique, l’hémorragie continue

Golfe de Gascogne : silence, on pêche

La mortalité gravissime des dauphins communs du Golfe de Gascogne continue à son rythme, si elle ne s’amplifie pas, ainsi que nous l’avions annoncé (sans mérite) dès le 10 janvier 2019.
Il existe en France une loi, plus exactement un arrêté, qui définit comment l’Etat français entend protéger les mammifères marins, donc les dauphins de toutes espèces. Il est bon d’en rappeler le texte.

Activité de pêche, ce 18 février 2019

Rappel de la loi, plus exactement de l’article 2 de cet arrêté

« Pour les espèces de cétacés et de siréniens dont la liste est fixée ci-après, sont interdits sur le territoire national, et dans les eaux marines sous souveraineté et sous juridiction, et en tout temps :

  1. – La destruction, la mutilation, la capture ou l’enlèvement intentionnels incluant les prélèvements biologiques, la perturbation intentionnelle incluant la poursuite ou le harcèlement des animaux dans le milieu naturel.
  2. – La destruction, l’altération ou la dégradation des sites de reproduction et des aires de repos des animaux. Ces interdictions s’appliquent aux éléments physiques ou biologiques réputés nécessaires à la reproduction ou au repos de l’espèce considérée, aussi longtemps qu’ils sont effectivement utilisés ou utilisables au cours des cycles successifs de reproduction ou de repos de cette espèce et pour autant que la destruction, l’altération ou la dégradation compromette la conservation de l’espèce en remettant en cause le bon accomplissement des cycles biologiques.

III. – La détention, le transport, la naturalisation, le colportage, la mise en vente, la vente ou l’achat, l’utilisation commerciale ou non des spécimens de mammifères marins prélevés dans le milieu naturel […]

L’interdiction de capture intentionnelle ne s’applique pas à la capture accidentelle dans les engins de pêche au sens du règlement (CE) n° 812/2004 susvisé. »

Atlantique Est, juillet 2015: ce Dauphin commun porte les traces visibles d’une capture dans un engin de pêche

La pêche, hors du champ de la loi

On constate que les captures dues à la pratique de la pêche n’entrent pas dans le champ d’application actuelle de la protection française, ce qui explique pourquoi un problème grave vieux de plus d’une décennie n’a pas trouvé de solution. Et de manière remarquable, la dernière phrase, qui sort explicitement la pêche du champ d’application de l’arrêté de protection, ne figurait pas dans une version de 2004 de ce texte légal.

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La nonchalance gouvernementale qui a présidé à la mort de dizaines de milliers de dauphins dans les eaux sous juridiction française n’est pas due au hasard, mais repose bien sur la vision hexagonale de la protection des cétacés. Première faute de l’Etat.

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La France et le Règlement européen

Puisque la pêche entre dans le domaine de compétences de l’Union Européenne, regardons comment la France a mis en oeuvre le Règlement CE 812/2004 qui précise les mesures de prévention et de contrôle des captures accidentelles de cétacés.

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Selon les comptes-rendus de l’ICES et un rapport de Whale and Dolphin Conservation de 2017, ce règlement a été modérément appliqué par la France (et mal appliqué par l’Espagne). Ce dernier rapport pointe le manque d’effort d’observation à bord des bateaux de pêche français après 2010.

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Nous avons ici la deuxième faute de l’Etat français, qui est celle de n’avoir pas suivi les préconisations du Règlement CE 812/2004 en matière de contrôle de la mortalité. Cette faute a des conséquences graves, puisqu’au jour d’aujourd’hui on en est encore à estimer la mortalité due à la pêche par l’intermédiaire des échouages, alors que le problème devrait être connu grâce à un échantillonnage important et significatif des opérations de pêche, depuis 2005.

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Groupe de travail : le retour

En 2018, le gouvernement a ‘réveillé’ un groupe de travail, suite à l’écho important des échouages en masse des hivers 2017 et 2018. Ce groupe s’est bien évidemment réuni pour décider de traiter le problème en étudiant des solutions techniques (comme la mise en place de dispositifs d’effarouchement acoustique) et en améliorant le protocole de signalement des captures. Un renforcement de l’effort d’observation des pêches est également prévu.

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Alors que les solutions d’effarouchement acoustique connaissent des succès très variables selon les pêcheries qui les emploient, c’est seulement maintenant que le gouvernement se décide à étudier à nouveau leur applicabilité au problème de la pêche au bar par chalut pélagique. C’est la troisième faute de l’Etat français : avoir interrompu des recherches sur le sujet alors que des résultats préliminaires avaient été acquis.

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La corporation de la pêche, l’Etat, la protection des dauphins

Face à ces carences gouvernementales, la corporation des pêcheurs est certes responsable, mais, comme toutes les corporations du monde, elle ne fait que maximiser ses profits en fonction des règles et contraintes existantes. Nul ne songerait à accuser cette corporation de ne pas être du côté de la protection de la faune sauvage…

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Pris un par un, les patrons de pêche peuvent être soucieux de la protection de la mer, ou pas, soucieux de la pérennité de leur ressource, ou simplement décidés à maximiser leur gain dans le moment présent.

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Face à ce problème, l’Etat français nous montre quelle est sa vision de la protection de la faune sauvage: une politique d’affichage et de communication, indifférente au fond à la préservation des animaux. Une vision qui a récemment été habillée d’un nouveau vocable technocratique : la ‘gestion adaptative’ des espèces.

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Traduisez « on essaie de trouver le pourcentage d’individus que l’on a le droit de détruire sans attenter immédiatement à la pérennité de la population ». On est de plus en plus loin de la notion de protection: de quel droit supérieur jouit-on pour décider de la mort d’animaux protégés ?

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La solution des protecteurs de la Nature

Face à cette politique de faux-nez, que peuvent préconiser des cétologues protecteurs de la Nature? Une solution progressive, rapide et contraignante du problème qui passe (1) par un comptage exhaustif par des observateurs indépendants des captures causées par cette pêcherie et (2) par une convergence vers zéro du nombre de ces captures sur une période de 5 années.

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Comment obtenir cette convergence vers le ‘zéro capture’ ? En divisant par 2 pour chaque campagne le nombre de captures tolérées lors de la campagne précédente. Lorsque le seuil est atteint, la pêcherie s’arrête. C’est la méthode employée par les Etats-Unis pour mettre fin au carnage des sennes tournantes dans le Pacifique, dans les années 90.

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Idéaliste ou extrémiste, cette solution ? L’Etat français protège les dauphins ? … Ou pas ?

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Le Groupe de Recherche sur les Cétacés : la science au service de la protection … SOUTENEZ-NOUS !

Alexandre, Odile, et cetaces.org

Toutes les photos de cet article sont issues des campagnes du Groupe de Recherche en Atlantique (2013-2015).