De surprise en surprise… Un Mégaptère échoué dans le Golfe du Lion

Sur nos côtes méditerranéennes, les baleineaux se suivent… et ne se ressemblent pas !

La presse s’est ruée sur l’évènement, comme si elle attendait autre chose… Et oui, « le nom de Wally était sur toutes les lèvres », raconte un reportage du Midi Libre. Après certains articles particulièrement paniqués, le grand public, autant que les journaux, attend en effet des nouvelles de la jeune Baleine grise égarée en Méditerranée, et le jeune animal (aperçu la dernière fois à Minorque le 22 mai après avoir malheureusement changé de route) pourrait effectivement bien revenir très bientôt dans nos eaux.

Et en fait… non !

Ce n’est pourtant pas lui qui a été retrouvé échoué tout à l’heure près de la Grande-Motte ; c’est un autre baleineau, certes moins exceptionnel mais pas pour autant commun : un jeune Mégaptère, aussi appelé Baleine à bosse (ou encore Jubarte, ou plus simplement Megaptera novaeangliae en jargon scientifique) !

On distingue sur cette image la bosse et l’aileron caractéristiques, ainsi que les longues nageoires pectorales (© E. Sene 26 mai 2021)

La Baleine à bosse est une espèce commune dans les trois océans, mais elle n’habite en revanche pas en Méditerranée, et cet échouage est donc un évènement rare : le précédent sur nos côtes datait de juin 2011, déjà dans le Golfe du Lion. Il semble cependant (ou serait-ce que le nombre de photographes augmente ?) que l’espèce soit de plus en plus fréquemment rencontrée en Méditerranée nord-occidentale depuis une dizaine d’années, à peu près une fois par an : nos voisins espagnols ont eu un échouage non loin de Valence en 2019, et une double observation a eu lieu en Italie, dans le Golfe de Gênes, en août puis novembre 2020 (l’animal de novembre était déjà présent dans le groupe de deux observé en août, et cela constituait par ailleurs une recapture photographique provenant de la République Dominicaine… 34 ans plus tôt !!).

Averti de cette triste nouvelle, le Réseau Échouages a pris en charge le cadavre en début d’après-midi, avec l’aide des services municipaux. Élodie Sene (Institut marin du Seaquarium du Grau-du-Roi), correspondante locale du réseau, a supervisé les opérations de mise à l’abri du baleineau.
D’après ses premières observations, l’animal, très maigre et déjà en cours de putréfaction, mesure environ 7 mètres, ce qui en ferait donc un individu de moins d’un an.

L’animal (notons les classiques petites tubérosités sur le museau) a été déplacé pour permettre la nécropsie (© E. Sene 26 mai 2021)

La cause de sa mort est pour l’instant inconnue, mais il est en tout cas probable que l’animal ait été séparé de sa mère un peu trop tôt, peut-être après la mort de celle-ci ou bien suite à un autre évènement indéterminé, et se soit ensuite perdu et ait fini par mourir en Méditerranée. La nécropsie sera réalisée en fin de semaine par une équipe de correspondants RNE du Golfe du Lion, et permettra sans doute d’en apprendre davantage.

Maman Mégaptère et son micro nouveau-né aux grandes nageoires blanches (Antilles, 1986)

Si le Rorqual commun est le seul mysticète (la seule « baleine ») résidant en Méditerranée, on peut en tout cas noter une diversité étonnante en ce début d’année 2021 : Évidemment, la jeune baleine grise a fait couler beaucoup d’encre, mais on se rappelle que nous avions également nécropsié un jeune Rorqual à museau pointu au mois de février… quatre espèces de baleines en Méditerranée française en quelques mois, voilà qui est probablement inédit ! Les migrateurs sont-ils déboussolés ?
Au-delà de l’anecdote, il est trop tôt pour savoir si cela signe un véritable changement de répartition, ou d’écologie, des espèces ou des biotopes.

Jeune Rorqual à museau pointu nécropsié à Saint-Tropez (février 2021)

Concernant notre jeune Mégaptère, à ce stade nous ne pouvons faire que des hypothèses généralistes. Étant donné sa taille, le plus vraisemblable est qu’il soit né (la longueur à la naissance est d’un peu plus de quatre mètres) sous les tropiques en début d’hiver, et qu’il se soit perdu en Méditerranée en essayant de remonter vers le Nord. Il pourrait ainsi appartenir à la petite population qui se reproduit au Cap-Vert et qui se nourrit l’été en Norvège ou en Islande.
Mais les Baleines à bosse sont de grandes voyageuses, et on ne peut donc rien exclure (d’autant plus que, les populations océaniques se portant plutôt bien, certains individus peuvent être tentés de déborder de leur environnement habituel pour aller voir ailleurs si l’herbe est verte, et c’est d’ailleurs peut-être un des facteurs derrière l’augmentation des rencontres en Méditerranée).
Pour semer un petit peu plus de doute sur sa population d’origine, notons que les grandes nageoires pectorales des Mégaptères d’Atlantique Nord ont habituellement leur face dorsale de couleur blanche, tandis que ces faces dorsales sont en général noires chez leurs cousines de l’hémisphère Sud. Et ici, notre baleineau… a les pectorales… noires. Ce n’est évidemment pas un critère absolu, mais nous attendrons donc avec curiosité les résultats des analyses génétiques à venir, histoire de comprendre un peu mieux ces égarements de baleineaux… en souhaitant que le prochain voyageur perdu ne finisse pas inerte sur une plage !

Adrien et cetaces.org