Mortalité de dauphins dans le golfe de Gascogne

De la communication trompeuse à la réalité douloureuse

L’adage ‘Gouverner, c’est prévoir‘ a été remplacé par ‘Gouverner, c’est communiquer‘ et dans le tragique dossier de la mortalité par pêche des dauphins communs (Delphinus delphis) du golfe de Gascogne (plus de 5000 individus tués chaque année depuis au moins 2017), on peut dire que la communication gouvernementale est abondante … surtout à la veille du ‘Sommet Un Océan’ qui se tient dans 4 jours à Brest.

En raison du vent cet hiver, la plupart des cadavres disparaissent en mer, pour l’instant

Mais est-ce que ‘communiquer’ c’est informer ? Pour prouver que non, il faut d’abord tordre le coup à la communication ministérielle : prenons l’exemple d’une tribune de la ministre de la Mer, en date du 24 janvierCapture accidentelle des cétacés : la France au rendez-vous de ses engagements‘. Après avoir indiqué le budget de 10 millions alloué à son plan d’actions, la ministre énonce ses deux priorités d’action, d’abord la connaissance scientifique, et ensuite la prévention des captures. Mais au passage, elle occulte une partie de la vérité scientifique en oubliant que si les campagnes aériennes indiquent que ‘les taux de rencontre de dauphins ont été supérieurs et leur répartition plus étendue qu’il y a 10 ans‘ … les groupes de dauphins observés ont été beaucoup plus petits que lors de la prospection précédente. Un signe qui ne trompe pas un spécialiste.

Un petit groupe de Delphinus visite l’étrave de notre voilier – Gascogne été 2021

Ensuite, la ministre détaille un catalogue de projets de recherche ‘à la Prévert’ en masquant le fait qu’aucune mesure opérationnelle de diminution des captures n’a été prise sous son ministère : au delà de certains pingers expérimentaux, la seule mesure effective, celle de placer des effaroucheurs acoustiques sur les chaluts pélagiques en bœuf, a été mise en œuvre il y a deux ans et n’est que partiellement efficace. Des centaines de bateaux français et espagnols pêchent donc sans aucun moyen réel de diminuer les captures. Et surtout la ministre occulte le fait que la seule mesure efficace immédiatement est celle, demandée plusieurs fois par l’Europe, de fermer temporairement la pêche, lorsque les captures sont les plus nombreuses (en janvier et février).

Extrait du bulletin d’information n°3 du gouvernement : les échouages de l’hiver 2021-2022 (en rouge) sont pour l’instant nettement moins nombreux que ceux des 2 années précédentes

Hasard bienheureux pour ce gouvernement, les échouages, c’est-à-dire le véritable thermomètre des captures – puisque les observateurs et les signalements ne rapportent même pas 10% du total de la mortalité – sont extrêmement faibles depuis début-décembre. Faudrait-il y voir un résultat inattendu du ‘plan d’actions’ mis en avant par le gouvernement ?

Le calendrier du vent dans le golfe de Gascogne : en orange, les conditions qui entraînent les échouages massifs, en turquoise, les conditions qui repoussent les cadavres vers le large, la vitesse du vent en noeuds est indiquée dans la colonne V (source Zygrib, traitement GREC)

Pas du tout : ce début d’hiver voit des conditions météorologiques très défavorables aux échouages, puisque la majorité du temps, les vents portent au large ; le Groupe de Recherche sur les Cétacés garde un œil attentif sur la situation : on ne compte que trois périodes où des vents persistants d’Ouest ont pu entraîner l’échouage en masse des nombreux cadavres qui flottent en mer (figure ci-dessus), et la deuxième période, celle du 24 au 29 décembre, correspond à la trêve des confiseurs, durant laquelle on a compté environ 10 fois moins de bateaux de pêche (de plus de 12 m) que d’habitude.

Situation des bateaux de pêche (les triangles bleus) de plus de 12 m le 20 décembre au matin (origine VesselFinder, traitement GREC)
Pas de pêcheur, pas de capture, pas d’échouage massif : la preuve par la pratique (image AIS du 26 décembre, origine VesselFinder, traitement GREC)

Bien au contraire, des vents persistants de secteur Est ont entraîné des cadavres loin au large, si bien qu’ils ne s’échoueront pas, ou bien s’ils s’échouent, ils seront dans un état tel que les indices de capture auront disparu (sauf pour les plus flagrants). Jeu gagnant pour le monde de la pêche et son mandataire sur ce dossier, le gouvernement ? Sans doute que la réussite du ‘Sommet Un Océan’ ne sera pas entachée par la vision de monceaux de cadavres de dauphins sur les plages voisines, mais pour le reste, le problème reste entier, et ce n’est pas l’action gouvernementale actuelle qui le résoudra, en dépit des belles déclarations parisiennes, peut-être destinées à tromper l’électeur en vue des échéances prochaines.

Alexandre et cetaces.org