… Et contrariés durant leur repas, même en hiver
Ce samedi, c’est une sortie avec trois jeunes à bord … et peut-être enfin la chance d’une belle observation ? La prospection cétologique, c’est comme le yams (jeu de dés prisé à bord), on ne sait jamais ce qu’on va obtenir : une paire en trois coups ou un yams sec …
De fait, avec une mer lisse comme un miroir, à peine sommes-nous disposés en prospection que l’on détecte quelques ailerons à 800 m … le voilier est à 1 mille du port Vauban. Nous identifions bientôt un puis deux sous-groupes de Stenella, qui sont en train de chercher de la nourriture.
Même très proches de la côte, nous nous trouvons en effet au-dessus d’un canyon sous-marin qui s’enfonce entre Nice et Antibes : c’est même probablement l’endroit de la côte française où le ‘plateau continental’ est le plus étroit. La profondeur de 200 m se rencontre à moins de 1500 m du rivage au niveau de Villeneuve-Loubet.
Après une approche de précaution, nous nous rendons compte que les dauphins Stenella sont en fait exclusivement des dauphines accompagnées de leurs nourrissons et juvéniles. Pourquoi viennent-elles en plein milieu d’hiver si près du rivage, là où les dangers sont multiples, accompagnées de leur progéniture ?
Car elles ont faim, doivent allaiter leurs jeunes, et elles savent qu’en bord d’un talus abrupt, elles trouveront toujours des proies diverses, pas forcément en grande quantité, mais facilement localisables sur un habitat connu. Et l’hiver, avec de l’eau froide, les dauphins doivent beaucoup manger, a fortiori s’il s’agit de mères allaitantes.
Nous observons donc à distance les pérégrinations d’environ 25 individus, qui tantôt prospectent doucement le secteur en nageant doucement dans des directions variables, tantôt accélèrent puis sautent pour sonder et aller attraper les proies repérées en profondeur avec leur biosonar.
Nous sommes si près du rivage (même pas un mille) que les dauphins ont la visite d’un pêcheur-plaisancier qui vient faire quelques photos, puis d’un canot de la SNSM, qui était occupé à un exercice à côté de la Marina baie des Anges. Dans les deux cas, la visite est brève et assez courtoise, ne perturbant presque pas les dauphins. Il est 11h30.
La mer étant toujours calme, nous avons l’opportunité d’observer une scène rare pendant quelques minutes : des mères quittent leurs jeunes pour aller chasser en profondeur, et ceux-ci forment alors une petite ‘crèche’ de 3 à 4 individus. Notre voilier est immobile quelques encablures de la scène, si bien que nous réussissons à comprendre ce qui se passe.
Puis les mères font surface en différents endroits et rejoignent une à une la ‘crèche’ pour récupérer leur nourrisson. L’une d’elles passe tout près de notre bateau. Des échanges de sifflements ponctuent cette scène car les dauphins ne peuvent évidemment se voir à 100 ou 200 mètres de distance dans cette eau trouble hivernale.
Quelques minutes encore et la troupe de dauphins se réunit puis prend la direction du sud en longeant de ce fait le bord du canyon, cette fois à une vitesse et dans une direction constantes. Il est plus de midi, les dauphins vont-ils sortir vers le large ou cherchent-ils un autre secteur où la nourriture est abondante ? En restant à distance nous les suivons, ce qui est possible en raison de la brise très faible.
Mais bientôt, un bateau de pêche-promenade les aperçoit et les rejoint à grande vitesse, avant de ralentir, heureusement, quand il se trouve dans le groupe. Nouvelle séance photo, avec cette fois 10 minutes d’évolutions incessantes devant, derrière, à côté, au milieu du groupe. Les dauphines ont leur capacité d’évasion contrainte par les nourrissons, certains de petite taille, et endurent cet importun en tentant de s’évader par une accélération.
Etant toujours en bord de canyon, ce qui devait arriver arrive: un second bateau rejoint la scène, et comme souvent dans ce cas, il ne s’embarrasse pas de précautions d’approche. Il rejoint le groupe de dauphins à grande vitesse en visant le milieu du groupe. Le temps de faire quelques photos, une ou deux minutes, et hop le voilà reparti aussi vite qu’il est arrivé.
Résultat de ces deux interactions, le groupe de dauphins quitte le bord de talus et se dirige vers le large, le plus discrètement possible. Nous le suivons une dizaine de minutes à 300 m de distance, le temps de confirmer son activité, puis nous décidons de le laisser vaquer à ses occupations du milieu de journée en partant nous aussi vers le large. Il est 13 heures.
Résultat de la matinée : une belle observation hivernale montrant un groupe maternel en train de manger très près des côtes, assorti de différents exemples de dérangement humain, provoquant certainement une interruption de l’activité vitale des dauphins.
Au total, une magnifique illustration de la manière dont la vie des dauphins côtiers se trouve compliquée par la présence humaine croissante, même en hiver, près des côtes azuréennes.
Il faudra que les plaisanciers et usagers de la mer soient informés du futur arrêté de protection des mammifères marins: ce nouveau texte légal, national, proscrira en effet l’approche de cétacés à moins de 100 mètres, dans les sanctuaires ou parcs nationaux.
Alexandre et cetaces.org