Cétologie méditerranéenne

Entre Toulon et Minorque, une journée bien remplie …

Toulon, le 17 juillet 2022, nous sommes six le soir à quitter le port à destination des Baléares pour un voyage de 15 jours. Je souhaite être au large avant la nuit afin d’éviter les filets et casiers de nos amis pêcheurs … la journée suivante allait s’annoncer animée. La mer est belle et le vent faible.

Le 18 à 02h40 un brouhaha sur le pont me tire des bras de Morphée (c’est une expression, ce n’est pas le prénom de ma femme Valérie) l’équipe de quart a aperçu des dauphins au clair de lune, je mets l’hydrophone à l’eau : kak et mew retentissent dans les écouteurs et bientôt deux dauphins passent rapidement à côté du bateau (obs 1). Je me recouche jusqu’à 05h00.

Un cachalot matinal le 18 juillet

06h15, ma coéquipière Delphine me fait remarquer un drôle de poisson sur tribord, je lui rétorque avec aplomb que c’est sûrement un poisson-lune. Mes jumelles me confirment que j’avais tort et que c’est un cachalot qui fait la planche à 50 m de notre rafiot dans la pénombre. Branle-bas pour tout le monde. J’effectue la photo de la caudale, mais l’appareil photo étant resté en position priorité-vitesse celle-ci est des plus obscures (obs2).

07h45, j’aperçois un aileron à 100m du bateau sur bâbord avant 1, 2 puis 3 rorquals nous croisent sans nous prêter attention (obs3).

Deuxième cachalot de la journée, photo-identifié celui-là
  • 07h48 C’est bizarre, un des rorquals semble moins élancé et plus anguleux que les autres. Je reconnais avec retard un cachalot de taille moyenne perdu au milieu des baleines (obs4).
  • 08h15 Deux rorquals nous croisent à 500m cap au Nord (obs5).
  • Je pars me coucher vers 09h30 pour récupérer de ma nuit mouvementée et étrangement les cétacés nous laissent en paix (ou plus probablement mes équipiers se sont mis à jouer aux cartes sans scruter passionnément la surface de la mer). J’émerge vers 13h00 tenaillé par la faim.
  • 14h25 Trois rorquals aux trajectoires erratiques passent et repassent à proximité du bateau pendant 30 minutes (obs6).
Rorqual avec une posture ‘pédoncule haut’

L’équipage est ravi, j’étais à ce jour le seul à avoir vu des baleines d’aussi près. On me questionne sur ce qui pourrait encore nous arriver dans la journée. J’évoque les Dauphins de Risso, les Globicéphales ou les sauts de rorquals encore inédits pour moi.

15h00 Alors qu’assis dans le carré je passionnais mon auditoire par ma culture cétologique, face à moi (donc dans leur dos), la mer s’ouvre en deux à 70m environ sur bâbord et je vois le ventre blanc d’un rorqual s’élever et retomber sur le dos dans une gerbe d’écume, me mettant immédiatement en position « mute ».

J’ai totalement oublié de quoi je parlais, à qui et je suis resté les yeux et la bouche grands ouverts. Deux rorquals nous doublaient à grande vitesse en multipliant les sauts (parfois synchronisés) sur le dos, le ventre ou le côté. Une troisième baleine les suivait sans participer à cette compétition. Les deux athlètes se sont chamaillés pendant une demi-heure alternant sauts (une quinzaine au total) et poursuites sous-marines (obs7).

  • 15h43 Un baleineau suivi par sa mère s’approche par l’arrière jusqu’à 50m du bateau puis disparait (obs8).
  • 16h25 Un rorqual passe à 1000m du bateau (obs9).
  • 17h10 Un rorqual passe sur notre arrière cap à l’Est (obs10).
  • 17h17 Une guifette fait du covoiturage avec une tortue.
  • 17h28 Loin au SW deux rorquals sautent une dizaine de fois suivis par un troisième beaucoup plus calme (sont-ce les mêmes que précédemment ?) (obs11)
  • 18h10 J’aperçois dans mes jumelles les sauts d’une raie géante (Mobula ???).
Pour la 2ème fois de la journée, des léviathans en pleine socialisation !
  • 18h30 Pour changer un peu, une cinquantaine de dauphins bleus et blancs viennent vers nous pendant que les juvéniles sautent, une dizaine d’adultes viennent à l’étrave (obs12).
  • 18h30 Perdu au milieu des dauphins joueurs, un dos de 3/4m sans aileron, sans souffle apparait à 100m du bateau et se laisse couler au bout d’une minute. Jeune cachalot esseulé ? Mais l’hydrophone n’enregistre aucun clic de ses congénères. Cachalot pygmée ? peu courant en Méditerranée. Il restera un mystère (obs13).
  • 18h40 Pendant que nous sommes harcelés par les dauphins qui rêvent de faire du « nage avec » les bateaux, un rorqual effectue 4 sauts à 2 km de l’esquif (obs14).
  • 19h45 Un rorqual nous double à plus de 1000m de distance (obs15).
  • 19h55 Trois Stenella (dauphins bleus et blancs) viennent nager à l’étrave pendant 10 secondes puis s’en vont (obs16).
  • 21h05 Des dauphins bleus et blancs sautent brièvement sur fond de soleil couchant (obs17).
18h40, les dauphins Stenella harcèlent le voilier : que fait la police ?

Les journées se suivent et ne se ressemblent pas, le lendemain, la journée sera ponctuée par zéro observation. On a dû manger notre pain blanc. Ou plutôt, nous sommes passés hier sur le front nord-Baléares et aujourd’hui, nous sommes dans les eaux du Sud, plus pauvres …

Le reste du voyage plus porté sur la détente n’apportera que peu d’observations, seul le retour permettra l’observation de quelques rorquals et dauphins, mais à un rythme beaucoup moins soutenu. Le record du 18 juillet (17 observations, trois espèces et demie) était-il à notre portée ?

Gilles et cetaces.org