Projet d’arrêté sur les captures accidentelles de dauphins

Le Groupe de Recherche sur les Cétacés publie son avis

Etant donné que, contrairement à un usage établi, les contributions à la consultation publique ne sont pas visibles sur un espace public, et que par conséquent certains avis défavorables pourraient être escamotés, étant donné que cette consultation publique n’a pas bénéficié d’un portage autre que celui du Ministère de l’Agriculture ( https://agriculture.gouv.fr/consultation-publique-projet-mesures-spatio-temporelles-cetaces ), le Groupe de Recherche sur les Cétacés publie l’avis (défavorable) qu’il a émis aujourd’hui vers 16h30.

Le projet d’arrêté intervient au terme d’une longue séquence de mesures visant à documenter les captures de petits cétacés dans le golfe de Gascogne, et dans un cas très prècis (celui des chalutiers pélagiques en paires) à les réduire.

Cette séquence a abouti en 2023 (1) à un nombre record de captures observées ou constatées, (2) à un nombre très faible de captures signalées par des pêcheurs malgré le caractère obligatoire du signalement, (3) à l’absence de typologie des événements de captures, en particulier dans les engins dormants.

Finalement, c’est sous la contrainte de l’Union Européenne (avis 2023 du CIEM en réponse à une demande de la DGMARE) et du Conseil d’Etat (décision du 20 mars 2023 comprenant des injonctions à agir), que le gouvernement a élaboré ce projet d’arrêté.

J’émets un avis défavorable au projet d’arrêté pour les raisons suivantes :

(1) le projet exempte de toute mesure les sennes pélagiques, considérant ‘la faible probabilité de captures accidentelles’ de ces engins, en contradiction totale avec l’avis du CIEM (2023) qui indique que les sennes à petits pélagiques sont responsables de 1192 captures de dauphins communs (fourchette 650-1842) dans la zone Gascogne et côtes ibériques’, soit le 2ème métier en terme de mortalité sur la période 2019-2021,

(2) Article 2 : le projet exempte de toute mesure les navires de moins de 8 mètres, qui pourtant sont les plus nombreux (document stratégique de façade) et posent chaque jour des milliers de kilomètres de filet dans les eaux côtières fréquentées en hiver par les dauphins et les marsouins,

(3) Article 3 : la période de fermeture (pour les engins cités à l’article 2) s’étend du 22 janvier au 20 février, alors que les périodes aux risques les plus forts (d’après les statistiques officielles du bulletin gouvernemental n°10 de 2023) sont les 4 quinzaines s’étendant du 1e février au 31 mars (échouages moyens de 162 à 196 petits cétacés entre 2017 et 2023),

(4) Article 3 : la durée de la fermeture ne s’étend que sur 4 semaines, ce qui est très nettement insuffisant au regard des indications du CIEM (2023) car le scénario ‘E’ (stipulant 4 semaines de fermeture) aboutirait à des captures moyennes comprises entre 3900 (d’après les observations en mer) et 6000 (d’après les échouages) dauphins. Cette mortalité va au delà de la recommandation la moins exigeante de cet organisme de référence, celle qui est basée sur une limite maximale de captures de 4927 dauphins, égale à la mortalité biologique tolérable (PBR selon Wade 1998),

(5) Article 3 : dans son avis de 2023, le CIEM considère que les mortalités tolérables dans le golfe de Gascogne et les côtes ibériques devraient en fait se situer entre 50 et 75% du PBR ‘this bycatch is considered an underestimate of the total bycatch across the entire management unit (NE Atlantic). ICES considers that management objectives (< 75% or < 50% of PRB) could take this bycatch underestimation into consideration‘ d’où la totale insuffisance du projet, même s’il ne comportait pas la dérogation dont il sera question ci-après,

(6) Article 3 : dans son rapport de 2023, le groupe de travail WKEMBYC du CIEM indique qu’au regard de la législation européenne, il serait nécessaire de calibrer les mesures de fermeture pour que les captures soient inférieures à 20% du PBR, soit une mortalité de 985 dauphins au maximum ; en ce sens, seule une fermeture de trois mois d’hiver des métiers à risque permettrait d’atteindre l’objectif de conservation à long terme de la population de dauphins communs dans le golfe de Gascogne (avis CIEM de 2023)

(7) Article 4, alinéa 2 : aucune réduction de mortalité n’est à attendre en 2024 en ce qui concerne les ‘systèmes actifs d’observation électronique à distance’ ; en ce sens, la dérogation à l’interdiction ne doit pas s’appliquer à ces navires, mais uniquement aux pêcheurs utilisant des balises acoustiques dont l’efficacité a été validée OU des pêcheurs qui expérimentent des pingers sur de nouveaux métiers, ou des engins dormants pourvus de réflecteurs,

(8) Articles 4 et 5 : cet ensemble compliqué de dérogations ne pourrait être respecté que si l’autorité étatique était en mesure de contrôler une proportion importante de balises acoustiques, de filets ou d’autres dispositifs, ce qui n’a jamais été le cas.

L’ensemble de ces éléments établit clairement qu’aucune réduction significative des captures de dauphins, et de marsouins, ne pourrait être obtenue si ce projet d’arrêté était publié en l’état, et en tout cas aucune réduction en accord avec l’avis du CIEM de 2023 qui sert de base à toute réflexion.

Pour être un tant soit peu efficace, l’arrêté doit inclure les fileyeurs de moins de 8 mètres, exclure des dérogations tous les navires ne déployant pas de dispositif actif de réduction des captures, et étendre la période d’interdiction à une durée d’au moins deux mois couvrant l’essentiel de la période à risque (de début-février à fin-mars).

Alexandre GANNIER, président du Groupe de Recherche sur les Cétacés