Marsouins communs du golfe de Gascogne

Leur situation est-elle préoccupante ou critique ?

Dans le golfe de Gascogne et au delà, la mortalité par capture dans les engins de pêche est la cause qui menace la pérennité des populations de cétacés. Le Dauphin commun est l’espèce qui, de loin, occupe le plus les esprits en raison des quantités industrielles de dauphins qui trouvent la mort chaque année dans la région, pas seulement en hiver.

Si le Marsouin commun fait moins parler de lui, c’est en grande partie que les échouages d’individus morts sont moins nombreux… en raison de la plus grande rareté de l’espèce dans le golfe de Gascogne. Les prospections aériennes estivales montrent en effet que les marsouins sont moins présents dans le golfe qu’en Manche, et bien sûr qu’en mer du Nord où ils sont prédominants en terme de densité de population.

Une carte de la distribution des observations de marsouins durant la prospection aérienne estivale SCANS4

On sait que pour jauger la menace que fait peser une mortalité anthropique sur une population de cétacés, sachant que ces animaux sont protégés en France et en Europe, on se réfère au pourcentage annuel de mortalité par rapport à la population. Ce qui suppose que l’on soit capable (1) de compter les morts et (2) d’avoir une bonne évaluation numérique de la population. Les deux aspects sont très problématiques ; par exemple, les populations de cétacés sont très mobiles, ce qui fait que les effectifs hivernaux et estivaux sont souvent très différents.

Une carte de la distribution des observations de marsouins durant la prospection aérienne hivernale SAMM2

Si les autorités gestionnaires disposaient d’un pourcentage raisonnablement précis (ce qui n’est le cas ni pour le Dauphin commun, ni pour le Marsouin commun), elles seraient alors confrontées à un problème très ardu, celui de fixer le seuil limite tolérable pour ne pas mettre la population en danger. Depuis l’article de Wade (1998), les progrès dans ce domaine n’ont pas été fulgurants, aussi c’est le plus souvent le seuil de 1%, obtenu par l’auteur lors de simulations numériques, qui est encore retenu pour fixer la la mortalité maximale tolérable. Même si des études poussées aboutissent à des seuils limites plus faibles.

Le cas du marsouin mérite notre attention… de quelles données dispose-t-on pour jauger si sa mortalité est tolérable ou non ?

– on n’a pas de mortalité, mais juste un nombre d’échouages, annuel ou pour la saison ‘hivernale’ : sur les années 2022 à 2025, en moyenne 28 marsouins morts se sont échoués pour la période du 1er décembre au 30 avril (rapports annuels du Réseau National Échouages),

– selon une analyse récente (Peltier et al. 2025), 13% des marsouins morts par capture s’échouent sur le littoral du golfe de Gascogne ; ce qui suggère une mortalité hivernale de 215 individus dans la région.

Voilà pour une estimation approximative de la mortalité hivernale des marsouins, le numérateur de notre pourcentage. Qu’en est-il maintenant du dénominateur, c’est-à-dire la population supposée présente en hiver…? Pour en obtenir une estimation, nous avons recours à deux documents : un rapport sur l’abondance estivale lors de la prospection aérienne SCANS4 (Gilles et al. 2024), et un rapport sur l’abondance hivernale apparente issue de SAMM2 (Laran et al. 2022).

– la densité estivale sur le plateau du golfe de Gascogne vaudrait 0,02 individu par km2, avec une précision faible mais corrigée du ‘biais de disponibilité’ (chiffre correspondant à la proportion de marsouins visible en surface lors du passage de l’avion) qui a été déterminé par une méthode spécifique,

– la densité hivernale issue de SAMM2, qui une fois corrigée par le biais obtenu lors du survey SCANS4 vaudrait 0,09 individu par km2, donc plus de 4 fois plus élevée qu’en été.

Grâce à cette gymnastique, nous pouvons estimer une abondance d’environ 8400 marsouins en hiver sur le plateau du golfe de Gascogne (à comparer à environ 129 000 dauphins). En reprenant l’estimation de 215 marsouins morts en hiver, le taux de mortalité hivernal peut être estimé à 2,5% de la population présente dans le golfe de Gascogne chaque hiver, ce qui est bien au delà du seuil de 1%. L’hypothèse sous-jacente étant que toute la mortalité est d’origine anthropique.

Une image rare d’un grand groupe de marsouins prise lors de notre croisière en nord-Gascogne cet été

Évidemment, les marsouins présents dans le golfe de Gascogne ne sont qu’une petite partie de la population de l’Atlantique nord-est (environ 400 000 individus), mais les captures ailleurs en Europe sont également élevées. Notre seul référentiel est ici le golfe de Gascogne, on pourrait dans un autre exercice prendre également en compte la façade française dans son intégralité.

La majorité des captures de marsouins est due aux filets côtiers

La réponse à la question posée en titre de cet article est donc, selon nos éléments : le niveau de mortalité des marsouins dans le golfe de Gascogne n’est pas tolérable. La réponse à ce problème en Europe et aux États-Unis est l’utilisation obligatoire de balises acoustiques sur les filets.

Alexandre et cetaces.org