Du promeneur au cétologue, tous ceux qui regardent un petit peu la surface de l’eau le savent bien, il y certaines observations qui sont plus mémorables que d’autres… et certains individus qui sont plus mémorables que d’autres, aussi !
Murielle et nos amis de l’association SOS Grand Bleu nous ont communiqué récemment une belle observation réalisée au retour d’une sortie de sensibilisation, un petit groupe de Grands dauphins (Tursiops truncatus). Et parmi les animaux présents, un sautait bien sûr particulièrement aux yeux..!

Cet individu, initialement doté chez nous du banal nom Tt105111_A, est en effet facilement reconnaissable avec son aileron dorsal très particulier comportant plusieurs zones blanches nettement délimitées, cas non unique chez les Grands dauphins azuréens mais particulièrement développé chez lui.

À force de le rencontrer, il a semblé légitime de lui attribuer un surnom un peu moins chiffré ; Aurélie et Anaïs en travaillant sur notre catalogue avaient fini par opter pour « Mouette », et Mouette était ainsi baptisé.

Assez souvent observé par les cétologues mais également par les plaisanciers ou le grand public qui le « remarque » assez facilement, Mouette est un grand habitué de la région azuréenne qui semble constituer une zone centrale de son habitat, mais il ne s’y cantonne pas : en bon Tursiops méditerranéen, sa zone vitale n’est pas constituée que d’un point unique de résidence, et il est régulièrement observé depuis la région marseillaise et le Golfe du Lion à l’Ouest jusqu’au Golfe de Gênes à l’Est, en passant par les îles d’Hyères et la Riviera italienne… et la Côte d’Azur au milieu, bien sûr.
Mouette se déplace souvent au sein de petits groupes mais parfois juste seul et, de ce que nous en savons, c’est probablement un mâle.
Notre première photo-identification de Mouette remonte… à l’été 2005, il y a donc maintenant plus de vingt ans, juste devant Antibes.

C’était à ce moment une de nos premières observations avec photo-identification de Tursiops dans la région. Il faut dire que les Grands dauphins y étaient encore peu courants : jusqu’aux années 2000, le Tursiops était une espèce occasionnelle en zone azuréenne, et leur observation y était nettement moins régulière qu’aujourd’hui.

Il est très intéressant de constater que, en l’espace de 20 ans, Mouette a très peu changé d’aspect : son aileron dorsal, en particulier, était déjà très similaire à ce qu’il est maintenant, avec sa pigmentation caractéristique. On peut se demander d’où celle-ci provient, d’ailleurs. Il est vraisemblable que Mouette ait à un moment subi une blessure assez importante au niveau de son aileron, et que le tissu cicatriciel produit ait eu cette teinte blanchâtre permanente. D’après certains chercheurs, chez quelques delphinidés les mélanocytes peuvent se retrouver pratiquement absents lors de la régénération des tissus cutanés après une plaie importante, et c’est donc peut-être ça qui était arrivé à Mouette.

Quoi qu’il en soit, on ne peut que constater que Mouette est resté visuellement « assez similaire » entre sa première capture photographique et ses plus récentes photos, ce qui voudrait dire qu’il a non seulement au moins 20 ans, bien sûr, mais qu’il a probablement bien plus que ça, puisque c’était déjà un adulte « bien marqué » en 2005.

Alors, quel âge, 30 ans ? Peut-être 40 ou même plus ? On ne sait pas mais disons que 30 ans paraitrait un minimum raisonnable… et c’est déjà intéressant, puisque l’on ne sait en réalité pas grand-chose de la longévité des Tursiops en Méditerranée.
Dans quelques endroits du monde (Floride notamment, ou dans certains delphinariums), des études de long terme sur des Grands dauphins ont pointé vers une longévité maximale d’une soixantaine d’années, mais sur des morphotypes différents de la population méditerranéenne. Qu’en est-il en Méditerranée ? L’enquête progresse, notamment au fil des observations de Mouette et de ses congénères. Souhaitons qu’on puisse continuer à le suivre pendant encore de nombreuses années !

PS : Si vous pensez avoir observé Mouette et que vous voulez nous en faire part, vous pouvez nous contacter ici, merci !
Quoi qu’il arrive, il faut toujours garder en tête que, même pour la bonne cause ou pour réaliser une bonne photo-identification, il faut respecter le cadre légal français et donc ne pas s’approcher volontairement à moins de 100 mètres des cétacés afin de ne pas risquer de les perturber dans un environnement déjà très anthropisé où ils ont déjà du mal à se reposer, se nourrir, ou socialiser en toute quiétude..: même une bonne photo ne saurait justifier un dérangement, donc à nous tous de rester raisonnables pour pouvoir continuer à voir Mouette dans nos eaux !
Adrien et cetaces.org
