Un peuplement abondant et assez diversifié
Le peuplement de delphinidés et de marsouins du golfe de Gascogne comprend sept espèces régulières: le Marsouin commun, le Dauphin commun, le Dauphin bleu et blanc, le Grand dauphin, le Dauphin de Risso, le Globicéphale noir, et l’Orque. Observons que nous englobons ici sous le terme ‘dauphins’ les six espèces de la famille des delphinidés, puisque Globicéphale et Orque sont des dauphins au sens zoologique, même si le premier dépasse 5 mètres de longueur, et le second atteint 8 mètres. Elles sont d’ailleurs appelées ‘whale’ en anglais.
Les sept espèces fréquentent l’ensemble du golfe, mais la plupart ont une préférence en terme d’habitat (plateau, talus, domaine océanique); certaines sont plus abondantes au nord qu’au sud, et vice versa. Mis à part l’Orque qui n’est pas vu très fréquemment, les autres espèces sont assez communément observables, en toutes saisons, si l’on parcourt leur habitat bien sûr.
Les habitats des cétacés du golfe de Gascogne
Le golfe de Gascogne est une aire très vaste (plus de 300 000 km2) qui n’est pas homogène en terme d’habitats de cétacés. Les habitats de cétacés sont souvent décrits à partir de leurs caractéristiques topographiques et hydrologiques (température et biomasse planctonique de l’eau, salinité, …). Dans le golfe de Gascogne, les différents habitats ont des caractères topographiques bien tranchés, avec un plateau continental très étendu (sauf au sud), un talus continental assez abrupt, indenté de petits canyons sous-marins, et un domaine océanique, de plus de 3000 m de profondeur (zone abyssale).

On remarque toutefois dans le sud-est du golfe, une vaste zone de profondeur intermédiaire, entre 500 et 3000 m, qui compose un habitat particulier.
Au niveau de la température superficielle de l’eau et de la biomasse phytoplanctonique, les contrastes sont surtout saisonniers, même si des différences existent entre le sud, à tendance oligotrophe en été, et le nord du golfe (Fig.2). Les températures rencontrées en plein été varient de 18°C (nord-ouest) à 22,5°C (sud-est), alors qu’en plein hiver, elles sont de 11°C (NW) à 12,5°C (SE).

Habitats des marsouins et dauphins
Le Marsouin commun est classiquement un cétacé d’eaux peu profondes, ce qui se retrouve dans le cas du golfe de Gascogne, où il fréquente le plateau et le talus supérieur.

Mais la distribution du Marsouin montre un fort contraste entre l’hiver, où il est très côtier, et l’été, où il se trouve surtout dans les eaux plus profondes du plateau et du talus (Fig.3).

Le Dauphin commun se rencontre aussi bien dans le domaine océanique que sur le plateau du golfe de Gascogne, en hiver comme en été (Fig.4).

Les données d’identification sont incertaines vis-à-vis du Dauphin bleu et blanc, qui vu d’avion ressemble au Dauphin commun, néanmoins, les prospections SAMM indiquent que le Dauphin commun change partiellement sa distribution entre l’été, où il est très présent dans le domaine océanique, et l’hiver, où il investit largement le domaine du plateau.

Le Dauphin bleu et blanc est habituellement une espèce très présente dans les eaux profondes, et également une espèce qui préfère les eaux un peu plus chaudes, en Atlantique (Fig.5).

Les prospections SAMM n’ont pas livré de nombreuses données fiables sur cette espèce, mais les prospections CODA confirment la présence importante du Dauphin bleu et blanc du talus au domaine océanique (à gauche ci-dessous), dans une proportion comparable à celle du Dauphin commun (à droite). En complément, notons que les prospections de SCANS-2, sur le plateau, n’ont livré aucune donnée d’observation de Dauphin bleu et blanc.

Le Grand dauphin a la particularité de former des groupes résidents en certains secteurs côtiers, et d’être également présent du talus au domaine océanique (Fig.6).

L’espèce est très opportuniste, et on ne peut donc avoir de vision tranchée sur ses préférences en terme d’habitat. On constate avec les prospections SAMM cette dualité d’habitat, avec une tendance un peu plus ‘plateau’ en hiver qu’en été.

Le Dauphin de Risso est relativement moins fréquent que les espèces précédentes, mais les données de prospections SAMM indiquent qu’il est présent été comme hiver dans le golfe de Gascogne.

On remarque proportionnellement une présence significative au voisinage du talus (Fig.7).

Le Globicéphale noir a une abondance beaucoup plus importante que le Grampus dans le golfe de Gascogne, avec une tendance océanique même si des incursions sur le plateau et même en zone côtière sont régulières.

Les prospections SAMM suggèrent une tendance de l’espèce à se regrouper vers le talus en été (Fig.8).

Notons que la présence estivale du Globicéphale noir dans le golfe n’est pas constante, puisqu’il n’avait pas été observé pendant la prospection CODA de 2007.
Le cas de l’Orque épaulard est plus clair: dans le golfe de Gascogne, l’espèce est observée assez peu fréquemment (5 observations signalées dans l’étude de Kiszka et al., contre 134 de Globicéphale).

Vu plus souvent dans le domaine profond, l’Orque est cependant parfois signalé près des côtes, bretonnes en particulier. Il peut s’agir d’un écotype opportuniste se nourrissant potentiellement de mammifères marins.
Abondance des marsouins et dauphins
Si estimer l’abondance des cétacés demeure un problème techniquement ardu dans presque tous les cas de figure, il est pratiquement impossible donner des valeurs de populations pour les marsouins et dauphins du golfe de Gascogne. Pourquoi ? Le golfe de Gascogne est un secteur extrêmement ouvert, la majorité des petits cétacés vont et viennent au gré des saisons et en fonction de déplacements occasionnels aux motivations parfois inconnues. ‘La population du golfe de Gascogne’ est donc une entité indéterminée.

Au-delà de ces réserves, il est important de chiffrer les populations de marsouins et de dauphins qui fréquentent le golfe de Gascogne, en été et, si possible, en hiver. Ces populations sont en effet victimes de menaces anthropiques graves et variées. Pour ces chiffrages, les meilleures sources utilisables sont les publications issues des prospections à grande échelle réalisées au cours de la décennie écoulée (Tab.1).
La prospection européenne SCANS-3 et la prospection SAMM constituent des références pour les marsouins et les delphinidés, avec les particularités inhérentes à ces prospections:
– le ‘zonage’ en blocs de SCANS-3 ne recoupe pas le golfe de Gascogne stricto sensu,
– la prospection SCANS-3 repose sur des échantillonnages aériens (plateau) et en bateau (large) au cours desquels la différentiation des espèces de petits delphinidés est parfois problématique,
– les prospections SAMM reposent sur des échantillonnages aériens au cours desquels la différentiation des espèces de petits delphinidés est problématique, les deux espèces concernées ont été regroupées dans les estimations d’abondance publiées.
Tableau 1 : Chiffrage des populations fréquentant le golfe de Gascogne
Espèce | densité hiver SAMM | densité été SAMM | densité été SCANS-3 | intervalle de confiance arrondi (été, SCANS-3) |
Marsouin commun | 0,01 | 0,047 | 0,012 | [100 , 8000] |
Dauphin commun | nd | nd | 0,87 | [130 000 , 830 000] |
Dauphin bleu et blanc | nd | nd | 0,77 | [69 000 , 680 000] |
Grand dauphin | 0,062 | 0,036 | 0,05 | [4600 , 38 000] |
Dauphin de Risso | 0,003 | 0,008 | 0,01 | [550 , 14 000] |
Globicéphale noir | 0,014 | 0,014 | 0,03 | [2500 , 32 000] |
petits dauphins nd | 1,01 | 1,75 | 0.28 | [70 000 , 680 000] |
On remarque que les intervalles de confiance à 95%, c’est-à-dire la fourchette de valeurs à l’intérieur de laquelle la population réelle se trouve avec 95% de certitude, sont très étendus.
La population de petits delphinidés présente dans le golfe de Gascogne en été s’élève certainement à plus de 200 000 dauphins, en majorité des Dauphins communs, mais avec davantage de Dauphins bleus et blancs dans la zone océanique du golfe (selon SCANS-3). Pour les Marsouins, l’estimation de la population présente en été est très peu précise, avec des différences importantes entre les prospections SAMM et SCANS-3. Ceci souligne la ‘volatilité’ de la présence des populations selon les années, avec sans doute aussi des fragilités méthodologiques qui nuisent à la fiabilité des estimations produites.
Menaces
Les populations de marsouins et delphinidés du golfe de Gascogne sont soumises à l’ensemble des pressions anthropiques, parmi lesquelles on citera la perturbation des habitats (effets sonores des travaux sous-marins, des exercices militaires, des prospections sismiques, …), et la concurrence pour les ressources alimentaires (pêche). L’effet le plus évident des pêcheries est la mortalité dans les engins de pêche, particulièrement pour le Marsouin et le Dauphin commun.
Bien que cette mortalité soit mal évaluée, malgré le règlement européen qui oblige à un contrôle effectif des pêcheries, les estimations récentes suggèrent que plusieurs centaines de marsouins et plusieurs milliers de dauphins sont victimes des pêcheurs chaque année.

L’effort d’évaluation et l’objectif de réduction de ces mortalités ont été affirmés à la suite de l’écho médiatique des échouages en 2017 et 2018. Affaire à suivre, donc …
Conclusions
Le peuplement de marsouins et dauphins du golfe de Gascogne est caractérisé par une diversité assez forte et une grande abondance pour ce qui est des petits delphinidés. Le Globicéphale noir est également une espèce remarquable, par opposition au Dauphin de Risso beaucoup moins répandu. Avec le Dauphin commun, le Grand dauphin et le Marsouin commun sont des espèces très présentes sur le plateau du golfe, le premier étant plus abondant en hiver, et le second en été, semble-t-il.
L’importante mortalité due aux pêcheries est le phénomène le plus inquiétant sur cette façade atlantique. Jusqu’à aujourd’hui, elle a été insuffisamment contrôlée. Pour le traitement de ce problème grave, deux options sont offertes:
– la première, technocratique, viserait à déterminer par une comptabilité macabre le nombre de milliers de dauphins qui peuvent être tués dans les engins, en fonction d’un pourcentage qui serait (bien sûr) calculé scientifiquement (les bureaucrates appellent cela de la ‘gestion’),
– la seconde, éthique, viserait explicitement un objectif de ‘zéro’ dauphins et marsouins tués dans les engins de pêche tout en donnant aux acteurs les moyens d’atteindre cet objectif, en quelques années. Il s’agit alors de protéger une faune sauvage sur laquelle l’Homme n’a aucun droit.
Il va de soi que le Groupe de Recherche sur les Cétacés, pourtant familier de longue date des estimations chiffrées, ne saurait s’associer à la première option, conformément à son approche de préservation réelle des animaux protégés par la loi.
Alexandre et cetaces.org
Références
Hammond PS, C Lacey, A Gilles, S Viquerat, P Börjesson, H Herr, K Macleod, V Ridoux, MB Santos, M Scheidat, J Teilmann, J Vingada, N Øien, 2017. Estimates of cetacean abundance in European Atlantic waters in summer 2016 from the SCANS-III aerial and shipboard surveys. Rapport, 39pp.
Hammond PS, K Macleod, D Gillespie, R Swift, A Winship, ML Burt, A Cañadas, JA Vázquez, V Ridoux, G Certain, O Van Canneyt, S Lens, B Santos, E Rogan, A Uriarte, C Hernandez, R Castro, 2009. Cetacean Offshore Distribution and Abundance in the European Atlantic (CODA). Rapport, 48pp.
Kiszka J, K Macleod, O Van Canneyt, D Walker & V Ridoux, 2007. Distribution, encounter rates, and habitat characteristics of toothed cetaceans in the Bay of Biscay and adjacent waters from platform-of-opportunity Data. ICES J. Mar. Sci. J. Cons. 64, 1033–1043.
Laran S, M Authier, A Blanck, G Dorémus, H Falchetto, P Monestiez, E Pettex, E Stephan, O Van Canneyt, V Ridoux, 2017. Seasonal distribution and abundance of cetaceans within French waters- Part II: The Bay of Biscay and the English Channel. Deep-Sea Research Part II 141, 31-40.
Pettex E, C Lambert, S Laran, A Ricart, A Virgili, H Falchetto, M Authier, P Monestiez, O Van Canneyt, G Doremus, A Blanck, V Toison & V Ridoux, 2014. Suivi aérien de la mégafaune marine en France metropolitaine. Rapport final, 169pp.